POÉSIES ET FICTION

Dans cet article, je vais poser la délicate question des rapports entre poésie et fiction, tentant d'esquisser à quelles conditions la poésie peut être considérée comme fictionnelle. Mais qu'est-ce que la fiction?

La fiction

      Il existe bon nombre de théories concernant le statut de la fiction. (i) Le sens commun considère volontiers que ce qui est fictionnel est ce qui n'existe pas. Les textes de fiction seraient alors les textes dont les signes seraient dépourvus de référence. (ii) Certains critiques littéraires pensent que le texte exhibe ses propres marques de fictionalité, dans l'emploi de verbes d'attitudes propositionnelles (croire, espérer, etc.) ou dans l'usage du discours indirect libre qui manifesteraient l'omniscience du narrateur hétérodiégétique connaissant les pensées de ses personnages (K. Hamburger, D. Cohn). (iii) Des philosophes comme J. Searle et G. Currie croient que c'est l'intention de l'auteur qui détermine si un texte est fictionnel ou non. (iv) Quant à K. Walton, il défend l'idée selon laquelle les fictions sont des supports dans des jeux de faire-semblant. Il pense que nous feignons de considérer les marques textuelles comme de véritables descriptions sur le modèle des enfants qui prennent des tas de sable pour des gâteaux. Pourtant, aucune de ces théories n'est satisfaisante [1] .

 

      Pour le dire vite [2] , (i) la réalité elle-même peut être objet d’imagination. Des noms comme “Rome” dans La modification de Butor ou comme "Porbus" dans Le chef-d'œuvre inconnu de Balzac font référence à la capitale de l'Italie et au peintre flamand. De plus, nous n'avons pas dû attendre l'année 1984, par exemple, pour décider si le texte éponyme d'Orwell était fictionnel ou non. Inversement, un livre d’histoire truffé d’erreurs factuelles demeure un livre d’histoire, c'est-à-dire un texte référentiel. Ce n'est donc pas le rapport sémantique au monde qui constitue le critère de fictionalité.

      (ii) De telles marques ne sont ni nécessaires à la fictionalité d'un texte, comme dans le récit à la première personne ou le récit hétérodiégétique en focalisation externe, ni suffisantes, dans la mesure où l'on peut trouver des descriptions d'états mentaux dans des contextes non fictionnels : "nos relations avec autrui, la façon dont nous voyons nos congénères ne se limitent jamais à des notations béhavioristes, mais mettent toujours en œuvre des attributions d'états mentaux" [3] . Cela est d'autant plus vrai aujourd'hui où l'on assiste à un brouillage, un mélange entre fiction et réalité ou, plus précisément, entre marques de fictionalité et marques de référentialité. Je pense notamment au concept d'autofiction [4] ou à des travaux comme celui de Sophie Calle, par exemple, qui dans un "double jeu", mêle sa vie à la fiction et à celle de Paul Auster [5] .

      (iii) Walton a critiqué la conception de Currie à l’aide d’un exemple. Imaginez, nous dit-il, que des fissures naturelles dans les rochers tracent la phrase suivante : “Le Mont Merapi est en éruption”. Cette inscription ne nous convaincra pas que le Mont Merapi est en éruption ou que quelqu’un le pense et veut que nous le croyions. Au contraire, si des fentes dans la roche écrivaient l’histoire suivante : “Il était une fois trois ours,…”, le fait que cette inscription n’ait été rédigée par personne ne nous empêcherait pas d’éprouver du plaisir, de rire, de pleurer — i.e. de considérer cette histoire comme une histoire à part entière.

      La différence fondamentale entre les actes illocutoires et les actes de faire-fiction réside, selon Walton, dans le rôle intentionnel des agents. Une question importante pour le récepteur d’un acte illocutoire est presque toujours “voulait-il le dire?”, “avait-il l’intention d’asserter cela?”, mais on peut tout à fait lire une histoire ou regarder un tableau sans se demander quelles vérités fictionnelles l’auteur ou l’artiste entend générer. La notion de fiction accidentelle n’est pas aussi problématique que celle d’assertion accidentelle.

      (iv) La nature de notre rapport aux jeux, comme lorsque nous faisons semblant que ces tas de sable sont des gâteaux, diffère de celui que nous avons avec la fiction. Autrement dit, c'est le support lui-même, l'œuvre, qui fait l'objet de notre commerce avec la fiction, et non pas les jeux auxquels il permettrait de jouer. En effet, en lisant de la littérature, on n'a pas le sentiment de participer à des jeux de faire-semblant. On ne prend pas les mots d'une histoire pour jouer à quoi que ce soit, même s'il arrive que parfois on se mette à la place du héros ou qu'on imagine les actes qu'il est en train d'accomplir. C'est pour cette raison que l'entrée dans la fiction par les jeux de faire-semblant des enfants ne semble pas appropriée.

 

      Je pense que la nature de la fiction est sociale. Plus précisément, cette activité provient, d'une part, d'un besoin ou d'une envie immémoriale et universelle de raconter et d'écouter des histoires. Nous ne préciserons pourtant pas ici ce point anthropologique. Il nous suffit de reconnaître l'existence d'une telle inclination pour indiquer l'origine de la fictionalité. D'autre part, il est légitime de penser que l’ontologie [6] d'un groupe humain, à un moment précis de son histoire et dans un espace donné, en spécifiant ce qu'elle admet comme entités existantes, va déterminer en conséquence un champ de pratiques linguistiques. Dans ce champ, une place privilégiée sera accordée aux énoncés assertoriques — i.e. aux énoncés qui nous parlent du monde, qui font référence à ce qui existe et qui peuvent être, en vertu de leur succès ou de leur échec, vrais ou faux —, puisque le langage référentiel est nécessaire non seulement pour représenter des faits, échanger des informations à leur sujet et agir sur la réalité, mais également, à la constitution de certains faits (institutionnels). C'est donc parce que l'ontologie de notre société a divisé le monde (au moins) en deux que trouve à s'exprimer ce besoin ou cette envie de narration. Mais, et c'est un point important, il n'y a pas dans l'ontologie ou le partage ontologique un élément positif ou plus spécifique qui permette d'expliquer la fiction, l'ontologie partagée ne fait que créer l'espace nécessaire au discours fictionnel.

      Autrement dit, toute conception du monde, en séparant ce qui existe de ce qui n'existe pas, donne la possibilité à ce besoin ou à cette envie de raconter des histoires de se manifester institutionnellement, i.e. comme un fait institutionnel réitéré, dans le cadre de structures plus ou moins étatiques : les imprimeurs, les éditeurs, les diffuseurs, les libraires, mais aussi les commissions d'aide à la création, sous forme de bourses, de résidences, de prix, etc.

 

      Cela dit, si l'on considère la fictionalité d'un texte, c'est son ensemble qui est rendu fictionnel par une sorte d'opérateur de fiction. Cet opérateur est une abstraction conceptuelle, dans le sens où il n'est pas lisible en tant que tel au début de l'œuvre, comme pourrait l'être l'opérateur de négation ou de possibilité devant une série de propositions d'un manuel de logique. Cet opérateur atypique est l'émanation, nous l'avons vu, d'un besoin et d'une ontologie partagée via l'institution littéraire. Le contexte social nous dicte donc une lecture spécifique des textes de fiction, désamorçant toute assertion. Cet opérateur couvre la totalité du texte de fiction qu'il préfixe, puisque les règles qui suspendent le fonctionnement référentiel du langage et, au plus près du texte, les marques paratextuelles (première de couverture, nom de l'édition, de la collection, etc.), ne sont pas altérées au moment où l'on passe, dans le texte, d'un moment narratif à un soi-disant moment référentiel. En outre, comme le notait déjà R. Ingarden en 1931, si l'on séparait le fictionnel du prétendu référentiel dans une fiction, on voit mal comment on pourrait alors intégrer des parties sémantiquement hétérogènes pour la constitution d'un sens global [7] . C'est pourquoi Balzac, Tolstoï, Stendhal ou Hugo, par exemple, ne peuvent pas parler de Napoléon dans leur œuvre. Quel que soit le matériau utilisé par l’auteur (importé ou créé), une œuvre de fiction est non référentielle. Si un auteur importe un objet du monde réel, et si le lecteur fait le lien entre Napoléon-dans-la-fiction et Napoléon, c’est parce tous deux vivent dans la réalité où il y a eu un Napoléon et qu'ils le savent.

 

      Pour conclure sur ce point, il faut parler brièvement de la dépendance du "langage fictionnel". En effet, non seulement les assertions fictionnelles ne fonctionnent pas normalement dans la mesure où elles n'ont pas de référent, mais, de plus, on ne peut comprendre leur sens que si l'on connaît le langage naturel. Autrement dit, l'emploi fictionnel du langage est tributaire ou dérivé de son emploi référentiel habituel. Comment imaginer l'histoire du Petit Chaperon Rouge, par exemple, dans une société sans discours sérieux, c'est-à-dire dans une société où l'extension des concepts "petit", "chaperon" et "rouge" ne serait pas donnée? C'est pourquoi on peut dire, en quelque sorte, que l'on importe ou emprunte toute la langue lorsque l'on rédige une fiction. Plus précisément, on emprunte le sens habituel d'un terme (constitué dans le discours référentiel), mais aussi sa nature (GN, adjectif, etc.), sa fonction syntactique (sujet, CV, etc.) et ses propriétés sémantiques (référentialité, marque d'unité-pluralité d'un déterminant, etc.). On assiste à un transfert (quasi automatique) de l'ensemble de nos compétences linguistiques dans la fiction.

 

      Si, comme je le crois, la fiction doit être définie de façon institutionnelle, comment se classe généralement la poésie? Autrement dit, est-elle référentielle ou fictionnelle?

 

Les poésies

      Malheureusement, l'institution ne prescrit rien à ce sujet. Nous ne pouvons donc que faire des hypothèses à partir de ses buts (dire ce qui est le cas ou non). La poésie est un genre hybride au regard de notre distinction. Ainsi, la poésie classique (épique, lyrique ou en prose) s'apparente tantôt au témoignage intime de la vie des sens, tantôt à la projection subjective de quelque attitude propositionnelle (croyance, désir, souhait, etc.) — à savoir au discours référentiel, éminemment subjectif. En d'autres termes, la poésie référentielle peut être définie comme le compte rendu d'expériences individuelles, le témoignage singulier des cogitationes d'un sujet. Elle a à voir, sous cet aspect, avec les comptes rendus d'observation ou les énoncés protocolaires de la science. Mais, en tant que discours référentiel, la poésie peut verbaliser également l'investissement personnel dans une utopie, la proposition d'un autre monde, s'apparentant alors à la formulation des hypothèses scientifiques. C'est peut-être pourquoi on pourrait qualifier métaphoriquement la poésie comme la science du possible (empirique) [8] .

      Pourtant, il existe également dans l'histoire de la poésie de nombreux textes qui doivent être considérés comme fictionnels — le "je lyrique", pendant poétique du narrateur, ne coïncidant pas avec le "je" auctorial. Que le poème développe dans ses vers ou ses lignes un texte dont le but s'apparente à raconter une histoire ou qu'il extériorise ou disperse son sujet en de troubles rêveries. Dans de tels cas, il est justifié d'y voir un opérateur comme dans n'importe quel récit fictionnel, à la différence qu'il porte généralement sur un seul poème [9] .

      La question qu'on ne peut éviter de poser, arrivé à ce point, est de savoir comment déterminer si on se trouve dans le cas de figure d'un poème référentiel ou fictionnel? Je ne pense pas qu'il existe à proprement parler de méthode. Je crois même qu'il se peut, vu la labilité du genre, que les jugements sur la fictionalité (ou référentialité) d'un poème varient d'un lecteur à l'autre. Nous ne pouvons qu'analyser quelques exemples.

 

Il n'est rien de si beau comme Caliste est belle!

C'est une oeuvre où Nature a fait tous ses efforts,

Et nostre âge est ingrat qui voit tant de tresors,

S'il n'esleve à sa gloire une marque éternelle.

 

La clarté de son teint n'est pas chose mortelle :

Le baume est dans sa bouche et les roses dehors;

Sa parole et sa voix ressuscitent les morts,

Et l'art n'égalle point sa douceur naturelle.

 

La blancheur de sa gorge esblouyt les regards;

Amour est en ses yeux, il y trempe ses dards,

Et la fait reconnoistre un miracle visible.

 

En ce nombre infiny de graces et d'appas,

Qu'en dis-tu, ma raison? crois-tu qu'il soit possible

D'avoir du jugement et ne l'adorer pas? [10]

 

      L'amour dont F. Malherbe parle peut dénoter l'amour qu'il a ressenti pour une femme à un certain moment de sa vie. On nous dit à ce sujet que Caliste serait la vicomtesse d'Auchy, avec qui Malherbe eut une liaison "orageuse" autour des années 1605. Mais il pourrait être, au contraire, fictionnel — que le moteur de son écriture soit son amour réel pour une vicomtesse ou non. Dans ce dernier cas, l'opérateur agirait comme dans un récit fictionnel. Nous serions en présence d'une fiction et non pas, par exemple, d'une lettre d'amour —ce pour quoi témoignerait le changement du prénom, par exemple. Quels sont alors les arguments qui nous permettent de trancher pour l'une ou l'autre des hypothèses? Il n'y en a pas.

      En faveur de la référentialité descriptive de ce poème, on peut alléguer l'existence de la comtesse. Il s'agit en outre d'une prise de parole à la première personne, où l'on lit l'investissement affectif et cognitif d'un sujet. Plus généralement, il est vrai que la poésie est une des seules possibilités, avec l'autobiographie, d'exprimer publiquement la vie de ses propres sens (ce qui n'est pas par définition le cas du journal intime). Mais, tout aussi légitimement, on peut s'en défendre en disant que la situation est identique à celle d'un roman "inspiré" par la biographie de son auteur (personnage, sentiment, etc.).

      Je ne vois donc aucune raison de trancher pour l'un ou l'autre cas de figure. Et, reprenant notre caractérisation de la fiction (objet narratif d'un besoin et d'une ontologie via une institution), nous n'y trouvons aucune prescription générale.

      Mais y a-t-il alors véritablement des poèmes qui ressortissent d'une catégorie plutôt que de l'autre? Je le crois. Par exemple, lorsque F. Ponge écrit, en 1929-30, dans Proêmes :

 

L'ordre des choses honteux à Paris crève les yeux, défonce les oreilles.

[…]

Ces ruées de camions et d'autos, ces quartiers qui ne logent plus personne mais seulement des marchandises où les dossiers des compagnies qui les transportent, ces rues où le miel de la production coule à flots, où il ne s'agit plus jamais d'autre chose, pour nos amis de lycée qui sautèrent à pieds joints de la philosophie et une fois pour toutes dans les huiles ou le camembert, cette autre sorte d'hommes qui ne sont connus que par leurs collections, ceux qui se tuent pour avoir été "ruinés", ces gouvernements d'affairistes et de marchands, passe encore, si l'on ne nous obligeait pas à y prendre part, si l'on ne nous y maintenait pas de force la tête, si tout cela ne parlait pas si fort, si cela n'était pas seul à parler.

Hélas, pour comble d'horreur, à l'intérieur de nous-mêmes, le même ordre sordide parle, parce que nous n'avons pas à notre disposition d'autres mots ni d'autres grands mots (ou phrases, c'est-à-dire d'autres idées) que ceux qu'un usage journalier dans ce monde grossier depuis l'éternité prostitue.

[…] [11]

 

Dans ce poème, Ponge nous dit quelque chose du monde ou de sa façon de voir le monde — d'un monde, soit dit entre parenthèses, qui n'a pas tellement changé [12] . Par contre, je crois que la visée de H. Michaux est purement fictionnelle quand il écrit "un certain Plume" :

 

Étendant les mains hors du lit, Plume fut étonné de ne pas rencontrer le mur. «Tiens, pensa-t-il, les fourmis l'auront mangé…» et il se rendormit.

Peu après, sa femme l'attrapa et le secoua : «Regarde, dit-elle, fainéant! pendant que tu étais occupé à dormir on nous volé notre maison.» En effet, un ciel intact s'étendait de tous côtés. «Bah! la chose est faite», pensa-t-il.

[…] [13]

 

      En effet, ce poème s'apparente très clairement à un récit narratif mettant en scène un personnage de fiction.

      Par contre, lorsqu'il s'agit de poésie expérimentale, comme la poésie concrète, il n'y a pas de contexte discursif suffisant pour que le poème en question ressortisse du champ de la fictionalité (ou de la non-fictionalité), bien qu'elle soit indirectement représentationnelle [14] . Voici, par exemple, un poème de E. Gomringer [15] :

 

schweigen schweigen schweigen

schweigen schweigen schweigen

schweigen                schweigen

schweigen schweigen schweigen

schweigen schweigen schweigen

 

      Au contraire, le lecteur est à même de reconstruire une narration à partir des constellations de prénoms proposées dans le livre d'U. Carrion, Arguments : rencontres, naissances, séparations, disparitions, etc. C'est en ce sens que le texte peut être référentiel (il s'agit d'amis dont je veux parler) ou fictionnel (il s'agit d'histoires que je veux raconter) [16] .

 

Iris

Iris

Iris

Iris

Iris

Iris

Iris

Iris

Iris

Frank             Iris

Frank    Iris

Frank

Iris     Frank

Iris              Frank

Iris

Iris

 

      On comprend bien avec ces différents exemples ce que la classification de la poésie a de délicat et il ne sera pas dit que sa diversité, notre hésitation à la classer, voire le jeu volontaire de certains poèmes avec les deux registres, ne sont pas des facteurs d'intérêt supplémentaires. En effet, il est de plus en plus fréquent que la poésie, à mesure qu'elle quitte le vers traditionnel, trouve d'autres formes d'emprunt dans l'art, la fiction romanesque (notamment le roman policier) ou le discours référentiel (je pense à la science et à la politique).

 

                                                                                                                            Lorenzo Menoud



 

 

[1]     Voir, respectivement, Käte Hamburger, Logique des genres littéraires, 1977, Paris, Seuil, 1986;

Dorrit Cohn, Le propre de la fiction, 1999, Paris, Seuil, 2001;

John Searle, "Le statut logique du discours de la fiction", dans Sens et expression, 1979, Paris, Minuit, 1982;

Gregory Currie, The Nature of Fiction, Cambridge, Cambridge University Press, 1990;

Kendall Walton, Mimesis as Make-Believe, Cambridge, London, Harvard University Press, 1990.

[2]     Pour plus de détails, voir mon qu'est-ce que la fiction?, Paris, Vrin, 2005.

[3]    Jean-Marie Schaeffer, Pourquoi la fiction?, Paris, Seuil, p. 267.

[4]    "Depuis trente ans, chaque fois qu'une page importante de ma vie a été tournée, je l'ai écrite.

Ces textes, je les ai appelés romans, et ces romans, autofiction", Serge Doubrovsky, Laissé pour conte, Paris, Grasset, 1999. 

Si le terme d'autofiction indique bien que le matériau de la fiction vient du vécu et qu'il est généralement élaboré

de façon plus lacunaire ou fragmentaire que dans une autobiographie classique, il ne peut en aucun cas signifier que le texte

en question serait à la fois fictionnel et référentiel, c'est impossible au regard de notre définition. Même si, pour des raisons

esthétiques et éthiques, il y a de fortes chances qu'on assiste à une plus forte interpénétration entre les documents,

les témoignages d'une part, et les récits de l'autre, cela ne fait que renforcer la force ou l'impact psychologique des fictions, mais

ne les rend pas référentielles.

[5]     Sophie Calle, Doubles-jeux, livre I, Paris, Arles, Actes Sud, 1998, p. 4.

[6]     Par "ontologie", nous considérons à la fois un domaine d'objets dont l'existence est communément acceptée

et un domaine de vérités partagées, ce qu'on entend ordinairement par idéologie.

[7]     L'œuvre d'art littéraire, 1931, Lausanne, L'Âge d'Homme, 1983, § 25-26.

[8]     À noter qu'il existe une tradition pédagogique arabe où certains poèmes sont composés pour servir d'aide-mémoire à des textes scientifiques.

Les plus connus sont peut-être le grand poème de la médecine d'Avicenne (11e siècle) et le premier "poème mathématique" (1191),

l'Urjuza (poème didactique) d'Ibn al-Yasamin — manuel en cinquante-cinq vers qui contient une initiation aux bases de l'algèbre

et qui eut un grand écho tant au Maghreb qu'en Égypte et en Orient.

[9]     C'est pourquoi, comme l'écrit Margaret Macdonald : "Hume a tout à fait tort de classer la poésie

comme telle parmi la fiction,bien qu'un récit fictif puisse être raconté en vers; "Le langage de la fiction", 1954,

dans Esthétique et poétique, G. Genette (éd.), Paris, Seuil, 1992, p. 208-9.

 

[10]     Oeuvres poétiques, 1630, Paris, Garnier-Flammarion, 1972, p. 113-4.

[11]     Le parti pris des choses suivi de Proêmes, 1942 et 1948, Paris, Gallimard, 1967, p. 155-6.

[12]     Cela dit, il ne faut pas confondre la fictionalité avec la présence des métaphores (par exemple, "sauter à pieds joints", "tout parle si fort" ou "à l'intérieur de nous-mêmes").

Sur ce point, nous suivons Searle lorsqu'il différencie le discours de fiction du discours figural

(cf. "Le statut logique du discours de la fiction", p. 103).

[13]     L'espace du dedans, Paris, Gallimard, 1966, p. 81.

[14]     "Parmi les représentations, on peut d'abord distinguer entre des représentations directes et indirectes.

Dans les arts visuels, ce qui est peint, photographié ou filmé est immédiatement sous les yeux, que cela ressemble

ou non à son objet (si objet il y a).

Autrement dit, nous appréhendons directement le contenu informationnel d'une image.

Ce n'est pas le cas des textes que nous lisons puisque l'expression linguistique doit être "décodée" pour que l'on en

comprenne le sens", Qu'est-ce que la fiction?, p. 55-6.

[15]     konstellationen, ideogramme, stundenbuch, Leipzig, Reclam, 1977, p. 77

[16]     Ulises Carrion, Arguments, Genève, Héros-Limite. 2005

 

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