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Philippe CASTELLIN  98
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Il est, est-il? , plus important de faire les choses que de discourir à leur propos. / web, je n'en suis pas si sûr. Pro/anti, la bulle médiatique qui enveloppe les mercantiles campagnes des dernières années engendre un tel lot de sottises que j'éprouve - bile, excuses! - nécessaire une mise au point. Trop de raccourcis, & imprécisions, & propos péremptoires. Trop de rêve aussi, ou de cauchemar, & fantasmes : l terreau idéal pour publicistes, affairistes, escrocs. Il faut sortir du spectacle, penser. Une affaire "qui sera" - promet-on!- celle du siècle " permet que l'on prenne son aise; il n'y a pas le feu.

Et que l'on cesse donc d'évoquer ces prétendus «autoroutes» vrombissantes d' images/sons bolides alors que - qui ne le sait...- ils s'y transfèrent à des taux d'une invraisemblable lenteur (si bon browser et si bon plug in...) et que, O.K pour l' autoroute, ce sont à certains retours de vacances (Porte d' Orléans...) qu'on pourrait songer (1) . «Cela va changer »? Certes, ô ADSL (asymmetric digital subscriberline) Gorgias, mais une assertion fausse (aujourd'hui) est une assertion aujourd'hui fausse, quand même susceptible de devenir vraie... plus tard. C'est maintenant que les gens achètent; des maintenant qui raccourcissent d'heure en heure, des présents qui se précipitent. Maintenant qu'on vend et qu'on ment, le Net décrit comme la télé des télés, une sorte de console nintendo croisée avec un minitel + un TGV et un remonte-pizza... Paradoxe ici remarquable du marketing (Qu'est ce que vous attendez pour vous équiper Multimedia....) le web - texte à part - c'est lent, mortellement, pour le sonore et le visuel. Ainsi n'est ce pas le web qu'ils négocient, mais son mythe, c'est sa (la nôtre...) poésie. Urgence d' une démystification. Mais sans diabolisation rhétorique ni catastrophisme à sensations : le trou dans la couche d'ozone, l'actionnisme viennois, la mort de Lady Di et le clonage, le Web n'en est pas cause immédiate, ni de , ni de .

Ou, dans la seule mesure où tout cela forme UN monde, le nôtre, pitié.... Et s'il avait des trous ce monde, des poches? - Si la pensée supposait un peu plus de patience, de précautions le jugement. Pour une pensée lente... Le web n'est pas un sujet pour cyber (thriller) pamphlet.

D'abord, si je parle du web, c'est que je le pratique. Si je pose la question des rapports web/poésie, c'est que je suis poète, que le web m'intéresse ; idem pour l'électronique, en général. HasardZéro si Akenaton - Jean Torregrosa + moi-même- a publié en collaboration avec ALIRE - Philippe Bootz et Tibor Papp- un numero special de DOC(K)S qui , + un CD-Rom, constituait en 1996-97 une très discrète mais effective première mondiale dans le domaine de la poésie animée par ordinateur. Et encore hasard0 si, juste après, nous avons fondé pour DOC(K)S et les poésies expérimentales, un site HTTP: // www. sitec.fr/users / akenatondocks. Pas par hasard enfin que nous avons présenté, à Aix-en-Provence (Rencontres d'art contemporain où nous étions commissaires), une grosse sélection de travaux consacrés au web art, tout ceci ayant tourné en Septembre sur le site Oreste de la Biennale de Venise avant d'être repris et développé sur le CD Rom qui accompagne le DOC(K)S consacré au web. Ce que je dis vient de ces expériences. Pas sociologue, pas théoricien, je m 'efforce seulement d'en faire usage poétique ou de rêver à propos de ce que l'on pourrait en faire, du web. Parmi d'autres choses qui m'intéressent tout autant sinon plus, performances, installations, poésie visuelle ou sonore etc...

Ce qui signifie que les aspects sociologiques les plus saillants du réseau seront, je le regrette, passés - ou presque - sous silence.
Ainsi, la fantastique puissance de communication et d' information, comme l'énorme capacité d'archivage & stockage qui sont siennes, + de ce qui résulte du couplage des deux : apparition sous nos yeux et live d'une encyclopédie Phénix qui s'auto-cycle en permanence, si vite qu'elle échappe à tous, devenant englobant commun: le web, nous Y sommes; nul n'est plus capable d'en donner une image exacte à un instant quelconque du temps. Dessine-moi le web...? - ça ne veut rien dire, il a changé entre le début et la fin de la phrase, il est né et il est mort. Le savoir cesse d'être état, il devient flux. Ce n'est pas anecdotique mais structurel. Y a du quanta dans l'air. Du flou. Heisemberg remplace Gutemberg. Non stop, des sites se créent comme des mondes, des pages se périment, des liens s'éteignent. 404. Toute une auto-éco-bio-nomie du web, proto-vivant qui dépasse ses utilisateurs et, non content de s'accroître par le croisement des rubriques, procède au dépouillage (informatif) de tout nouvel entrant (impétrant) pour s'en nourrir. Dans cette roller "bibliothèque" - super borgesienne - les livres peuvent être classés/déclassés de mille et une (mobiles) manières, les usagers déposent leurs propres ouvrages à fin d'archivage, ils se déposent eux-mêmes: du producteur au consommateur, la circulation informative décrit une boucle intradigestive, intestine et, pour toutes ces raisons, le web, bien plus qu'une autoroute, Super, Hyper, Mega, Giga , servez-vous, (ce sont les mots de l'informatique notez...) est l' un de ces lieux géants et protéiformes où s'effectue - potentiellement- la concentration de toutes les marchandises et de tous les consommateurs dans un share commun espace/temps. On peut y vivre. Y circuler en poussant des caddys remplis de choses n'ayant aucune initiale vocation à se retrouver ensemble, cadavres exquis à pleines brouettées. Le Grand Commerce et la Grande Distribution ont fourni la structure que le web modélise en établissant - de façon pour le coup non métaphorique - la validité de l'équation information = $. Encyclopédie, oui, mais proche du catalogue, 3 Suisses, La Redoute. Toutes choses qui n'ont pas, a priori et toute ironie laissée de côté, grand chose à voir avec la poésie. J' y viens.

Empruntant comme premier chemin celui des avant- gardes historiques et des poésies expérimentales.

Quand, il y a quelques années, nous avons réalisé avec les amis d'Alire le CD-Rom mentionné, il y a une chose qui m'a beaucoup frappé et que j'ai voulu exprimer en utilisant le terme d' "accomplissement", terme un peu ambigü , le sens où je le prends prétendant exclure toute idée d' "achévement". << La poésie électronique - ai-je écrit dans l'éditorial de SOFT/DOC(K)S - accomplit un ensemble de voeux - rêves présents dès le début du siècle - et peut être même avant.... >>

De ceci, quelques exemples, évidents: celui du "multimedia" - travaux qui croisent image texte son et tout élément dont le numérique facilite au poète la synthèse, technique et créative - qui fait partie des voeux énoncés par Dada ( cf. Hausmann et son «optophone»), par Russolo et les Futuristes italiens ou russes, programme réitéré plus tard par les concrets et la triade du verbivocovisuel chère à Noigandres, puis, près de nous, repris par Fluxus ou les Visifs italiens, sans parler des acteurs ou des formes contemporaines - installations, performances... - où pareille dimension "synesthésique" va de soi - Pas d' "obligation" cependant - jamais d'obligation ! - L'on peut aujourd'hui procéder ainsi, avec un système de signes "élargi" , mais ce choix n'interdit en rien d'autres choix plus restrictifs, plus pauvres, si besoin est. Ou si envie s'en fait sentir. On peut bien sûr ne faire que des livres «classiques», n'écrire qu'avec des mots queue-leu-leu. Refuser le tintouin, le ramdam, le tam tam, la brocante. Le tout est de savoir sentir qu'au temps du texte-image et du multimedia semblable exclusive fait sens, qu'elle résulte d'un choix et qu'il faut l'assumer comme telle, sous peine d'une naïveté désormais rédhibitoire parce que rendue perceptible, entre autres, par tout un siècle de poésie(s). (2)

Autre exemple: l'interactivité. A l'instar du "multimedia"- elle fait partie de la ritournelle informatique. Entendue selon sa véritable signification, - oeuvre qui, résultant de la coopération de l'auteur et du spectateur, trouble les schémas les plus faussement clairs (de l'émetteur/récepteur par exemple) - il serait aisé de montrer que la notion en fut activée dès 1900; Duchamp: «c'est le regardeur qui fait le tableau» ne veut, conceptuellement, rien dire d'autre, l'interactivité constituant ainsi - c'est vite! - la forme moderne, post-moderne - post nietzschéenne en tout cas, de la transcendance dans l'art. «Transcendance coopérative» si l'on veut, ou négocia(c)tive, dépassement du toi et du moi par un agir / faire ensemble à l'opposé d' une origine, d' un fond, d' un dieu qui nous préexisteraient. L'oeuvre ne peut se concevoir comme ensemble clos ni même comme béance ou appel : elle est dispositif invitant à une démarche commune, ouverte. La fin des absolus entame le temps du relatif, du processus , des relations, d'une poésie à faire par tous, non par un. L'Entre, ceci ne s'oppose pas au "Dans" mais au "Sur".(3)

Dernier exemple: le hasard. Ou, informatique oblige, l'aléatoire et l'ensemble des procédures par lesquelles une place peut être accordée structurellement à des variables. Qu'il s'agisse d'éléments laissés au choix du "lecteur" (interactivité) - d'un aveugle tirage opéré par la machine au sein d'un ensemble de possibles, (par combinatoire et comme on voudra) - ou, qu'enfin, l'aléatoire renvoie à des aspects dont la maîtrise échappe à l' auteur/initiateur comme à tous: ainsi dans le cas d'une performance où le contexte, les réactions des spectateurs etc. instillent du chaos dans la partition la plus préméditée, ceci faisant partie du jeu performatif et de son risque, le sans filet, le "direct" . Quoi qu'il en soit, "lecteur", machine, contexte, l'histoire des poésies expérimentales au XX° siècle est traversée par le Hasard: outre Mallarmé, l'on songe aux cadavres exquis des uns, à l'écriture automatique des autres et à l'ensemble des procédés très différents (en un sens) mais curieusement similaires (en un autre) - Roussell...Burroughs... Oulipo ... par lesquels les poètes se sont efforcés d'atteindre à ce rêve d'une «machine-à-texte»... Que les actuels «générateurs» chers à J.P Balpe «accomplissent» - comme le multimedia accomplit le rêve des synesthésies et de la Poésie Totale - et comme l'interactivité accomplit le fantasme du "poema processo" - oeuvre ouverte...

Pratiquement, ne pas s'étonner si les auteurs des travaux rassemblés par DOC(K)S et Alire, à commencer par les artisans du projet, Philippe Bootz, Tibor Papp, Akenaton et moi-même, sont issus de cette même histoire, revendiquée haut et fort et toujours en cours, le meilleur exemple étant celui d' Augusto de Campos, jadis fondateur des Noigandres et du concrétisme au Brésil, aujourd'hui créateur électronique présent par deux poèmes «multimedia» sur le même CD Rom. Insistons: Seule une vision superficielle des choses, je crois, conduit à considérer l'électronique comme inaugurant une nouvelle époque, artistique ou poétique. Pas question de tabula rasa. Non seulement la poésie, électronique ou pas, reste la poésie, mais tout indique qu' électronique elle se situe en référence et continuité vis-à-vis de ce qui la précède, poésies visuelle ou concrète notamment. Qu'elle ouvre des perspectives inédites, qu'elle possède ses spécificités formelles, qu'elle exaspère la crise des notions d' «auteur» et d'"oeuvre", comment donc ! - si du moins l'on n'oublie d'introduire dans la réflexion d'autres interlocuteurs, la video par exemple - ou des formes de l'art électronique conjointes aux installations voire à la "domotique" (4)- choses très éloignées, en tout cas, des pratiques de lecture liées au cd rom.

Distinguons, distinguons. Le Cd ce n'est pas le web, si voisin en soit-il via l'électronique. Ou via la continuité historique évoquée précédemment et que l'on retrouve ici, liée à la notion de «réseau» : structure non pyramidale, impliquant la possibilité de relations directes entre tous ses membres et permettant structurellement l'inversion des positions émetteur/récepteur. Outre ses dimensions actuelles + ses résonnances illichiennes et deleuziennes, cette notion réfère à tout un chapitre de l'histoire des poésies expérimentales auquel DOC(K)S appartient de plein droit, le mail art, les diverses pratiques liées à la «correspondance» entamées dès les années 60 aux USA et, plus généralement, à cette «fin des groupes organisés et structurés autour d'un manifeste» décrite par Adriano Spatola dans Vers la poésie Totale (), le groupe étant désormais remplacé par des rassemblements coopératifs affinitaires, instables et modulaires, où des individus se rapprochent, à l'échelle transnationale, et moins à partir d'une plate forme idéologique que d'un projet ou d'un objet communs. Historiquement, dans les années post 68 où le Mail Art connut un vif essor, on devine que la dynamique qui fut sienne lui venait du sourd écho des problématiques anarchiques qu'il véhicule comme de «l'alternative» qu' on attendait qu'il offrît à la structure officielle, à l'institution, au marché de l'art. Pour le web, s'il porte moins haut l'étendard anti-institutionnel, il est facile de flairer dans l'idéologie (trans/nationalisme, démocratie directe, refus des censures et des frontières...) de ceux qui, naguère, établirent le réseau et furent les premiers à le développer, la trace de l'utopie libertaire et de la constante attraction qu'elle exerça depuis Dada. Que la réalité du web, aujourd'hui plus qu'hier & bien moins que demain, soit de nature à cruellement trahir cette espérance, tout et A.O.L l'indique mais sans rien changer au fait actuel: que la mythologie même publicitaire ou commerciale qui affecte le web s'alimente à cette énergie poétique majeure, la fascination du réseau, le refus du pouvoir, le vertige rayonnant des délocalisations, le droit à se débrancher/brancher, et bref au thème complexe de l'individu-en-réseau comme alternative au sujet de tous les assujettissements et commandements. On peut trouver cela étrange, se perdre en conjectures: ce sont bien les poètes qui ont, hier, donné corps ( âme surtout) à ces thèmes que le commerce exploite aujourd'hui comme moteur publicitaire majeur; les marchands de web , par delà le bien et le mal, s'appuient sur le rêve de l'eternal network énoncé par Robert Filliou ...

Aussi, comme l'art électronique avait son De Campos, le web poétique comptera-t-il parmi ses pionniers nombre de mail artists passés avec enthousiasme (quelques réticences surgissent : voir la pertinente et critical note de De Geert , www. DOC(K)S)-ON-LINE) de l'enveloppe et du timbre à l'e.mail et au site, je songe à des gens comme Clemente Padin, vieux routard du mail art sud américain, à Ruud Jansen, Guy Bleus, Anna Banana et à des dizaines d'autres que je ne nommerai pas parce que ceux qui sont intéressés par ce genre de choses et ces gens, qu'ils aillent donc sur le web, tout y est, tous y sont; la continuité n'est pas seulement générique et abstraite, elle s'exprime sous la forme immédiate, tangible, de ces noms qui, de plus en plus, essaiment vers le web pour y reconstituer, étendre ou renouveler le réseau mail art.

Filiation aussi nette du mail art au web mérite d'être reformulée de manière plus théorique. Regarde-t-on globalement les pratiques des poésies expérimentales au XX° siècle, il semble qu' elles déploient, systémiquement, l'arc entier des attaques contre l'écriture d'une part, contre le livre de l'autre. Je laisse de côté l'écriture, à propos de laquelle j'ai, en d'autres circonstances, longuement expliqué selon quelles modalités les poésies expérimentales s'en proposent comme déconstruction calculée. (3) Le livre, oublions ici ici sa structure objective formelle pour l'envisager dans sa seule dimension de produit social lié à la communication.

A cet égard et à l'issue des siècles qui nous précèdent le schéma en place comporte, grosso modo, 4 phases qui correspondent à 4 acteurs. Il y a, amont, l'Auteur, qui écrit et remet, brut, cru et nu, pourrait-on dire, un «manuscrit», «son» manuscrit à un éditeur. L'éditeur et l'édition constituent la seconde phase. L'éditeur lit et décide. Il représente la sanction, une procédure de validation/invalidation fondamentalement apparentée à une censure sociale, exprimée par l'accord ou le refus de l' imprimatur. Et c'est bien parce qu' à travers lui l'on passe du privé au public et qu'il figure cette écluse ou ce filtre, que l'éditeur a pour charge, classiquement, d' «habiller» le «nu», le manuscrit - Toilette dont on ne saurait dire si elle est baptismale ou mortuaire - de tout ce que le manuscrit porte en lui qui renvoie à une origine concrète, physique, jusqu'à, ainsi, le propulser vers l'éther impersonnel qui sied aux neutres objets de l'esprit, postulants à l'Universalité. Vient alors la 3° étape, qui conduit l'objet ainsi moulé jusqu'aux mains de l'acheteur lecteur (4° étape), via l'ensemble de la distribution/diffusion., ensemble auquel l'aspect «communicationnel» et «publicitaire» se rattachent .
Telle, cette 3° sphère est trop rarement analysée quant à sa fonction dans un monde contemporain où c'est pourtant la diffusion qui établit le contact entre le livre et le lecteur et qui, pour ainsi dire - par l'existence de réseaux qualitativement distincts- fait correspondre - culturellement, sociologiquement- les uns aux autres: présentation et noces dans une agence matrimoniale où le berger épousera rarement l'introuvable héritière. Car - n'en déplaise aux nostalgiques du papier - 99% des livres qui se publient n'ont d'existence sociale que virtuelle, personne ne les lisant.

Revenons sur ces différentes étapes en les rapportant aux pratiques des poésies expérimentales afin de saisir comment, d' une manière tout à fait remarquable, ces pratiques ont démonté chacun des rouages de ce dispositif pluri-centenaire. Voici ceux qui, s'appuyant sur l'offset et sa puissance propre, celle d'abolir la distinction texte/image, refusent l'habillage typographique standard, par la réinjection de la manualité graphétique, chargent le livre des parfums intimement corporels que l'ancien régime de l'édition ostracisait. A ces pratiques, la diffusion de la photocopieuse conféra une accélération décisive. Voici également ceux - l'accélération interviendra en ce cas avec l'informatique individuelle et la PAO - qui assignent des valeurs significatives à l'ensemble des paramètres «techniques» et «matériques», naguère abandonnés ou confiés aux éditeurs, aux protes, aux imprimeurs: choix des caractères, chasses, espacements des lignes, approches, couleur des fonds, des papiers etc. etc... Dans l'ensemble des possibilités ainsi ouvertes se situent bon nombre des innovations formelles liées aux visuels ou aux concrets. Lesquels cependant n'allèrent jamais bien loin quant à l'ultime étape, jusqu'au lecteur: libraires, distributeurs et diffuseurs, critiques et publicistes (il est hélas aujourd'hui bien difficile de distinguer les uns des autres) constituent il est vrai un obstacle difficilement contournable. La bonne volonté, l'imagination ou la créativité ne suffisent pas. Paradoxalement même, en bien des cas, le développement des nouvelles pratiques et la prise en compte d'un nombre accru de paramètres, conduisirent à des solutions restrictives quant à la diffusion: puisque la galerie ou l'exposition finissent par remplacer - bien illusoirement- la diffusion standard. Mais, livres & poèmes, s'agissant d'objets qui répugnent à se limiter à des formats canoniques, qui utilisent des papiers (ou d'autres matériaux) très variés, qui intègrent la couleur, se jouent des pliages , des collages et des interventions manuelles, comment peut-il en aller autrement? - C'est à cela aussi que l'électronique et le web répondent. Non seulement en permettant, à bas prix, la récupération de tous ces objets et la reproduction de leurs caractéristiques les plus flagrantes - la couleur par exemple- mais surtout en conférant à l'auteur, en un tour de site, la possibilité de se transformer en diffuseur de ses propres travaux ou de ceux d'autrui, (4) qu'il s'agisse d'une simple édition en ligne, «écranique», ou, sur commande et selon des modalités très souples, d' un «tirage» classique, sur papier: du producteur au consommateur.

Ceux qui dénoncent le web comme responsable du déclin - de la mort...- de l'édition et du livre classiques, me semblent d'une grande hypocrisie. L'édition classique, la grande diffusion ou la grande distribution il y a lurette qu'elles ne s'intéressent plus à la poésie ou à la création; je ne vois aucune raison de me sentir concerné par la crise qui menacerait les diffuseurs de Sulitzer ou de ses sous produits. Qu'ils périssent ! - Au contraire , dans les jours où l'utopisme me regagne, il m'arrive de songer que le web donne une chance à tous ces objets que l' alliance funéraire de l'audimat et de l'argent s'emploient à écraser. L' on peut m'objecter que, "on line", l'on trouve tout et n'importe quoi, voire que le n'importe quoi y est largement majoritaire. Qu'en pareilles conditions il est peu de chance pour qu'un lecteur et un «livre» se rencontrent, que c'est la fable de l'aiguille et de la botte de foin ou celle de la bouteille et de la mer etc : - Comme si nous avions quoi que ce soit à perdre ou à sauver, comme si cela pouvait être pire...

Cependant je viens de prononcer un mot, «livre», qui, même assorti de guillemets, rend indispensable un ensemble de précisions. S'il est historiquement exact et conceptuellement fondé de marquer la continuité entre les recherches des poésies expérimentales et le développement de l'électronique ou du web , si c'est sous l'angle de la diffusion que, par l'entremise du mail art, la relation se noue, ce mot de diffusion risque malgré tout d' induire gravement en erreur. On pourrait en effet imaginer que la diffusion web puisse aller sans la transformation substantielle de l'objet ainsi véhiculé. Danger, confirmé par un simple coup d'oeil sur les objets supposés relever de la poésie et actuellement on line : du texte, des pages, des livres. De l'ancien au nouveau, de la page à l'écran, la métaphore est toujours tentante et les vieux démons bien actifs. Mais un livre à l'écran quel non sens, quel ennui... Ce que je voudrais ici défendre c'est, au contraire, que la prise en charge créative du web exige une réflexion quant aux potentialités propres au web: pas question de se contenter de «se servir du web» à des fins de promotion, ou en croyant contourner les lois d'airain de l' institution et du marché. Que les murs ou les kiosques se couvrent aujourd'hui de publicités annonçant l' apparition du «livre électronique» me semble symptomatique de la confusion qui règne. D'un point de vue créatif (sinon commercial ou pratique) il ne s'agit justement pas de se servir de l'informatique ou du web pour proposer un reflet appauvri d'un modèle conçu avec les moyens et les caractéristiques d'un autre medium. Nul cliché d'un tableau n'égale le tableau lui-même. Il faut une singulière conception de la dimension plastique pour considérer que l'on va remplacer de cette manière une exposition réelle par une exposition on line. Ici, c'est la notion même de virtuel qui est à refuser, car elle nous oriente vers des situations où le web se constituerait versus le (supposé) réel, se présentant ainsi dans un rôle subordonné, comme ersatz. Créativement les situations qui sont à rechercher fonctionnen t à l'opposé: articulées sur les spécificités du web, elles lui concèdent ipso facto une réalité créative autonome. Une oeuvre web n'est jamais virtuelle: puisque elle ne peut exister que sur le web dont elle est l' oeuvre.

Pour préciser les spécificités du web par rapport aux autres «media», ajoutons enfin , pour bien mesurer la difficulté de la tâche, qu'il est également nécessaire de distinguer web et CD rom (ou tout autre objet du même genre). Les singularités de l'électronique en général - rencontrées précédemment - comme le multimedia, la gestion du hasard, l'interactivité etc. ne suffisent pas à caractériser vraiment le web et ne nous permettent pas d' isoler ce que lui et lui seul permet, cet ensemble de possibles difficiles à résumer en termes théoriques parce qu'ils ont d'abord à être créativement éprouvés et validés. M'appuyant sur certaines expériences que j'ai pu menées, sur des projets à peine ébauchés ou sur des travaux en cours sur le web j'indique seulement quelques directions.

Celle en premier lieu des travaux qui s'édifient en jouant la puissance d'ouverture et délocalisation qui est l'une des caractéristiques majeures du web, l'un des moyens par où se marque la différence entre web et CD: «ouverte» autant qu'on le voudra dans sa structure, une oeuvre off line demeure comprise en une enceinte; elle ne se situe pas dans un ensemble réel d'autres éléments, autres oeuvres (ou non oeuvres) autres sites, avec lesquels elle cohabiterait. Solipsisme de l'oeuvre d'art. Une oeuvre web est au contraire (potentiellement) corrélée à l'ensemble indéfini des autres objets présents sur le réseau. Le web va de pair avec l'impureté des promiscuités. Tout y voisine. Dimension à exploiter: il est facile d'imaginer que par une procédure informatiquement simple, on click ou on roll ou on enter ou comme on voudra, une zone quelconque de l'écran soit lié référentiellement à un autre site, à un autre objet radicalement externe au site et à l'objet initial: sans même que le site ou l'objet B soient concernés par cette opération (qui peut être conduite à l'issue de B) et sans même que les 2 sites ou objets ou zones d'écran relèvent d'une quelconque catégorie commune... Effleurer du bout de la souris une portion quelconque de l'anatomie de la jeune fille que l'écran affiche peut vous conduire au Louvre mais encore, si l'envie m'en prenait, sur le site de la Maison Blanche et du président Clinton. C'est cela que j'appelle puissance de délocalisation, ce dérapage qui est propre au web, avec sa capacité de référence latérale, son aisance à capter et manipuler des ailleurs, tout ce côté qui l'apparente à ce (emprunt aux surréalistes et à Dada) que les situationnistes nommaient "dérive urbaine". Des parcours non rectilignes , des démarches en crabe, des déplacements à la manière du cavalier et non des pions, des cartes d'erre qui ressembleraient aux connexions synaptiques du rêve et de l' association freudiens....

Exemples qui, nota bene, permettent de revenir sur le mot virtuel et son inadéquation. Réel ? Virtuel? - La dite puissance efface la distinction ou la rend aporétique. Parti de l'art, me voici sur le site de la CIA. Quoi de plus réel que ce dernier... Que veut dire «pénétrer sur le site du FBI» ou sur celui de la Banque de France? - Peut-on considérer qu'il s'agit là d'une "effraction" bien que, à coup sûr, "je" n"y" sois pas présent "physiquement"? - Que nenni: en un instant, nanti des bons codes, je puis faire et défaire fortunes ou destins, puis les refaire, comme si de rien n'était et pis: comme si de rien n'avait été... Ou de faire que je ne sais plus où j'en suis ni même qui je suis: destruction des coordonnées, effacement des identités: le web c'est sous le signe permanent de l'égarement qu'il faut le situer; bien plus que «toile», voyons le comme labyrhinthe et dédale, avec la menace de la perte: celle du soi, des limites de l'oeuvre, une dissémination dont on peut imaginer qu'une oeuvre la mette à profit, conçue comme une sorte de vaste jeu de pistes, de site en site et d'indices en indices, du fictif au réel par une bascule sans délai, comme au travers du miroir d'Alice.

A cette caractéristique première s'ajoutera -prolongement- la possibilité d'une connexion en temps réel entre un (supposé) émetteur et un (supposé) récepteur, trait que ne présente nul CD si «interactif» soit-il et dont le web joue constamment: forums, chat... A la clef, le rôle capital dévolu à la notion de relation, au concept de dispositif, termes bien plus fertiles que celui d'interactivité. De l'interactivité il y en a partout, mais laquelle? - Très souvent elle s'identifie seulement à un comportement de schéma pavlovien, s/r/r. Forme de l'interactivité / dressage, comparable à celui qu' effectuent, sur nous et à notre insu ces outils technologiques, dont le mode d'emploi correspond subrepticement à l'obligation d' un protocole corporel automatisé. A contrario le web permet l'instauration de situations placées sous le signe de la réversibilité, de l'implication et de l'imprévisible. Il crée, à une échelle inédite, les conditions d'un débat et d'un travail collectif authentiques. C'est par là qu'il peut démultiplier un ensemble de caractéristiques déjà présentes au sein du mail art, comme l' effacement de l'auteur ou de son «professionnalisme», l'apparition structurelle de macro/oeuvres et le fonctionnement par projets: voir par exemple WEAK BLOOD initié notamment par Reiner Strasser et rassemblé dans ce numero de DOC(K)S. Ainsi, que les afficionados des modes primitifs et empathiques de l'échange se rassurent: dans les cas mentionnés comme en tous autres du même genre, le web ne correspond pas à une virtualisation des rapports réels mais à l'apparition d'un type et d'un espace de rapports qui n'existeraient pas sans lui et qui, de surcroit, peuvent très bien glisser d'un univers à l'autre. A quand des "mouvements de masse" initiés sur le web, couvés ou véhiculés par lui, à même pourtant de se développer dans l'autre monde...(Erika)

Parmi ce qui autorise l'établissement d'un dispositif relationnel interactif, la notion de «temps réel» occupe une place à part, notion également reliée à la possibilité, propre au web, d'injection permanente d'éléments externes, transmis par un capteur : web cam ou autre. Certes de telles procédures peuvent être utilisées à faux, simples ersatz pour la video, gadgets & tics. Mais une toute autre perspective est possible, où le «temps réel» s'adjoint aux valences de l'immaitrisé et du chaos, puisque celui qui greffe on line une web cam prend le risque que quelque chose apparaisse -ou rien- une telle apparition ne dépendant nullement de son pouvoir. L' injection continue des images web cam fonctionne au sein d'un dispositif structuré comme une source de désordre et de vie, cette «fenêtre» n'étant pas de même statut que celle -"window"- au sein de laquelle, et contradictoirement, elle s'ouvre . La chose est d'autant plus intéressante que les web cam trouvent dans la "réalité" leur prototype parmi les cameras de video surveillance, objets liés aux techniques de pouvoir et contrôle. Big Brother? Non: ce qui caractérise les engins de video surveillance c'est, fonctionnellement, que leur accès terminal est réservé aux gardiens. Le propre des web cam est au contraire que leur accès est ouvert et toute la question devient de savoir si par là nous sommes tous - science fiction - appelés à devenir gardiens.... ou si c'est la notion même de zone de surveillance, comme zone d'accés réservé, qui se transforme jusqu'à l'effacement. Il est facile de crier au viol optique à propos d' une web cam installée dans l'antartique. C'est oublier quelques questions: l'antartique était-il ou pas placé sous très haute surveillance avant ? Qui avait accès aux images ? Est-on sûr qu'elles ne puissent acquérir des significations telles (effet de serre) que leur libre consultation sur le net ne devienne un élément essentiel de la survie démocratique ??? Etc. Ou et par provocation :

Que deviennent (statut, régime de fonctionnement, valeur sociologique, artistique...) on line et temps réel :

-une scène de viol dans un parking souterrain,
-la chute de la première feuille d'un arbre à l'automne,
-un vol dans un supermarché,
-la surveillance de la base de Mururoa par une web cam installée par Green Peace,
-une agression dans le métro,
-la promenade des détenus dans la cour de Fleury Merogis?

Peut-on, d'un tour de rhétorique, enfermer cela dans un seul et même sac et agiter le spectre du pan-optikon ? - Voir, mais sans être vu et depuis quand Les prisons s'accomoderaient elles si aisément de la transparence ? - Leur image peut-elle se greffer sur notre réel et si cela advenait ( grandeur nature, un lieu public) s'agirait-il d'une déréalisation....ou de l'inverse...????

Cessons de hurler à l' invasion pornographique. Il y a dans ce que je dis quelque chose d'obscène. Toute image est obscène (), toute image en cache une autre, elle n'est qu'un paravent. Le web et le temps réel, en ce qu'ils signifient une extension des pouvoirs de pénétration de l'oeil et de l'image paraissent relever de cette dimension, l'obscénité, le dévoilement, l'extension des pouvoirs de la lumière et des projecteurs. Je reconnais que bien des sites apportent de l'eau à ce moulin, sites d'artistes - soi-disant tels - qui semblent avoir été conçus pour donner pleine signification au syndrome-syntagme du "m'as-tu-vu". Amsterdam. Prostitution. Aux cris de "Ma place au soleil". Tandis qu'à côté de ces "professionnels" de l'exhibitionnisme et de la .com, on voit, on line, se multiplier les pages "perso" où finalement c'est la même chose, bien entendu avec moins de moyens, plus de naïveté et, parfois, plus d' imagination: ceci est mon chien, ceci est ma maison et mon ours en peluche, j'aime les vagues, aidez moi à compléter ma collection de Black & Mortimer et, plus directement, aimez-moi-regardez-moi, ou toutes ces choses qui semblent nous conduire vers l'accomplissement désespéré de la prophétie warholienne: une seconde de télévision pour tout le monde, let it be let it beeeeeeee...

Mais rassurons nos élites pensantes, il suffit d' ajouter le tiers monde à la liste des show prétendants pour réaliser que la route est encore longue avant que l'épouvantable nivellement par le bas ne soit atteint, ouf. Et si en attendant nous prenions le temps de «travailler» poétiquement ce côté «vitrine kitsch»du web... en mettant on line un journal intime, absolument banal, fictif ou réel, avec l'énumération d' une foule de détails sans intérêt autre que personnels et par là rendus vaguement et significativement pitoyables. ...Images du même genre...A force de s'étaler (ou, en ce cas, d'être étalé) «aux yeux de tous», le narcissisme différentiel vire à son opposé, il devient sournoisement l'étalon même de la conformité. Home sweet home, rien qui ressemble plus à un pavillon de banlieue que celui d'à côté et ainsi de suite et ainsi de suite. Il n'est pas certain que l'ego - plus intellectualisé mais tout aussi nombrilique - de nos post penseurs échappe à ce constat.

D'ailleurs, si le web contient pareille spectacularisation potentielle (et ironisable) de tous les moments de la vie, l'inverse aussi y trouve place, comme on le note pourtant moins souvent: au vis-à-vis de l' accroissement de la visibilité, existe aussi - peut-être plus fortement - la possibilité d' un nouvel «underground», d'une plongée en des univers aux accès réservés, d'un retrait absolu, d'un engloutissement. La métaphore de la «vitrine» perd ici toute efficace. Surgit une autre, au moins aussi riche, celle de la Maison, partout métaphorisée, ou dans des cas fort proches, du palais, du château ou du corps. "Our homes are our castles". La «vitrine» n' est «que» la page, l'écran plutôt. Le site, c'est tout autre chose. Si l'on veut réfléchir le web, impossible de faire l'économie d'une réflexion au sujet du site, unité structurale primitive et bien différente d' une simple «suite» de pages, d'un "film". D'une page à une autre l'on passera - interactivité- par décision, au terme d'un séjour à loisir prolongé, temps indéfini... Un site, cela ne se regarde pas, ne se contemple pas, mais se manipule, se vi/site. Ce qui revient à dire qu' un site possède une architecture, qu'il ne peut s' embrasser d'un coup d'oeil, qu'il s'édife dans un ensemble de replis et de secrets. Les liens construisent cet espace singulier- hyperespace - où chaque page devenant visible en masque, partie ou totalité, une autre. Même dans les cas où cette dimension demeure larvée l' arrivée sur un site correspond toujours au franchissement d'une frontière et la home page fait seuil : il y a une enceinte, il y a une clôture.

On devine que cette caractéristique peut être très consciemment réfléchie et, hypertrophiée, fonder le web comme lieu non d'une monstration mais d'un retrait. Un monde d' accès réservé, de codes, de mots de passe, de parcours initiatiques, de clubs en tout genre y compris «de discussion», de cercles etc. A l'extrême, le privé s' y mute en secret , voire en tabernacle. L'insistance sur une iconographie très symbolique marque bien cette tendance où le site, non plus maison, se ferait temple. Ou tombeau. Ou conservatoire. On pourrait citer plusieurs cas qui fonctionnent selon cette logique pyramidale - je pense par exemple au site de Skipsilver- mais je ne voudrais pas laisser entendre que l' aspect mystique aille nécessairement de pair avec la clôture et la conservation. Somme toute, le site de PHM Burgaud, voué à l' archivage des langues en voie de disparition et doté d'un nom qui est celui de la poésie elle même - The house of the small languages - fonctionne selon une logique identique, sinon qu'ici elle s'adjoint les valences du recueil plus que du recueillement. Quant à Jim Andrews c'est sur la tonalité plus feutrée du club anglais et des happy few qu'il construit le fonctionnement de son espace... mais bref : en tous ces cas, bien distincts, mesure-t-on combien nous sommes unanimement loin du web exhibitionniste, raccoleur ou voyeur, pornographique et/ou publicitaire qu'un Virilio, parmi d'autres, hallucine ? - Conçoit-on à quel point le travail sur le web pour les poètes que j'évoque correspond à une ascèse, est-on capable, se défaisant des clichés et des imageries éculées, de comprendre que l'on peut se lancer - et s'enfermer- dans la construction d'un site comme d'autres rentrent dans les ordres - et en tout cas sur la base d'un Refus radical des lois du marché de l'art et du carrièrisme litteraire...

Proposant naguère à l'un de ces poètes l'édition d' un travail que je trouvais particulièrement réussi, je m'entendis (email) répondre que «s'il était là - sur le web- c'était justement pour ne plus jamais entendre parler de l'engeance des éditeurs...» - Celui qui s'exprime ainsi ne désire pas l'a giorno des projecteurs, c'est la nuit et la paix qu'il souhaite. Mais la même réaction me semble devoir suggérer un autre commentaire. Savoir, que l'insistance sur le caractère privé du site implique sans doute inévitablement - vérification de la structure décrite ci-dessus- que l' auteur y perde du même coup sa dimension «publique». Chose qui nous place devant une étrange situation, où les sites concernés se rangeraient dans la même catégorie que la maison du Facteur Cheval ou d'autres travaux relevant de l'art brut: à y bien songer il n'est pas à exclure que le web puisse à terme constituer un fantastique refuge pour toutes les formes de la monomanie créative.

Mais peut-être faut-il - du moins le souhaiterais-je - poser le problème en d'autres termes. Au lieu de se demander, comme face à l'art brut, si ceci "est" ou n' "est" pas de l'art, au risque de s'enliser dans des querelles sans fin, ne vaudrait-il pas mieux partir d'un concept plus vague mais plus pertinent, celui de «pratiques d'art».? Expression que j'utilise pour désigner les activités nombreuses et variées que les hommes ont dans des domaine tenus pour non artistique non pas tant à cause de l'activité en elle-même mais par suite de la manière dont cela est - ou pas - "adressé" à autrui. Une "pratique d'art", pour dire vite les choses, serait ainsi une activité créative non adressée socialement mais réservée à un usage privé, et, en tout cas, délestée du souci de l'Art et de son Histoire. Je puis faire de la cuisine avec un art et un raffinement infinis, si je n'invite que moi même et quelques amis à goûter le résultat, ceci demeure une "pratique d'art". Pour que je devienne (hypothèse...) un artiste en ce domaine il faut que j'accepte de m'inscrire dans la compétition des étoiles et des toques , que j'entre dans le circuit, que je m'adresse, potentiellement, aux juges, arbitres et concurrents. Si la fin de l'Art a sonné depuis longtemps, il est possible que le web ouvre une vaste perspective à pareilles "pratiques d'art" et s'offre comme refuge pour tous ceux qui ont décidé de "laisser tomber...".

Quelqu'un qui s'occupe, devant l'un de ces pavillons de banlieue que j'évoquais tout à l'heure - nous sommes tous des pavillons de banlieue - de tailler ses roses ou de planter des tomates correspondrait assez à cela que la notion de "hobby" recoupe (?) et que les poètes dont je parle, ciseleurs de sites, incarneraient à leur façon, avec, au fond des yeux du jardinier, à l'instant où vous sautez la haie et qu'il pose sa longue cisaille en s'essuyant le front, une brève lueur d'ironie. Profonds les yeux, et très plissés, très incisifs. Tu me veux quoi ami ? -

 

 

 

Ph castellin
juin-octobre 1999

 

(1) - En 1997, j'ai tenté de traiter humoristiquement ce thème avec les moyens de la poésie informatique et du web. Cf. "Au surf!..." - http://www.sitec.fr/users/akenatondocks.

(2) - J'ai auparavant voulu (1990) résumer tout cela en proposant métaphoriquement le couple de "Poésie restreinte" / "Poésie généralisée". Voir De la poésie restreinte à la poésie généralisée, Poésure & Peintrie, Edition des musées de France.

(3) - La poésie Entre - Etats généraux de la poésie - Ed. du CIPM et des Musées de France, 1991.

(4)- Parfois la théorie précède la réalité; ça n'est pas pour cela qu'il faut, hélas, s'en féliciter : cf, on line, cette image diffusée par une web cam de Green Peace :

 

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(4) - cf. "Domoptique 3" - http://www.sitec.fr/users/akenatondocks et sur ce cd. Le poème est accompagné d'un petit texte où l'on verra comment, je crois, l'on peut envisager la poésie informatique comme un sous ensemble de la "domotique" - A condition notamment de distinguer l'ordinateur - son écran- comme instrument de réalisation de l'écran comme "surface" de présentation/diffusion, ceci débouchant sur une "exposition" plastique permanente, éclatée, interactive et évolutive.

 

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