Elodie Moirenc

 

 

Propos sur un art de l'action et de la mixtion: glissements, déplacements...

 

Avant d'aborder la performance Man/Oeuvre d'Akenaton et de parler de son inscription dans un processus mêlant les arts plastiques, le théâtre et la performance, faisons un petit détour à l'intérieur d'un cadre historique précis : la sculpture minimale et la pensée de Michael Fried dénonçant un art "impur" et théâtral.

L'art minimal, un art "impur" - La présence - prise du / de temps dans l'espace

Le célèbre article de Michel Fried, Art and Objecthood, a été écrit dans l'actualité de l'art minimal et publié à New-York dans Artforum en 1967 (traduit en français en 1987). L'auteur méprise le jeu théâtral de cet art, repéré dans la spécificité de l'objet minimal (formes minimales, échelles humaines, matériaux industriels) et les conditions de sa visibilité. L'effet de "présence" de ces sculptures engendre un art théâtral, temporel, car elles extorquent la complicité du spectateur dans un effet de mise en scène, d'environnement. Cette spécificité est appelée par Michael Fried, "théâtre", avec l'idée d'un art "impur"; cette "stratégie" relationnelle est nommée "théâtralité" . La notion d'"impureté" proviendrait ici dune démarche transversale. Les conditions de visibilité sont similaires à l'expérience du théâtre : un espace-temps de rencontre. L'expérience de l'uvre minimale est celle d'un objet placé dans une situation qui inclut le spectateur en tant que sujet.

Le corps et la scène, devant, tout autour et dedans

L' exemple de l'artiste minimal Robert Morris va nous permettre de comprendre les relations instaurées entre lespace de la scène et lespace de lexposition à partir de la sculpture. Certains points sont à rapprocher du travail dAkenaton autour du corps et de la sculpture, de l'action et de l'installation.

Sujet-objet-performance, telle est la sculpture de Robert Morris sur scène au Living Theatre de New -York (Column, 1961). Nous sommes en présence d'une colonne exerçant une action dans un espace-temps réel, tel un acteur :

"Le rideau se lève : on aperçoit au centre une colonne en contre-plaqué gris, haute de deux mètres cinquante et large de soixante centimètres. Il n'y a rien d'autre sur scène. Pendant deux ou trois minutes, rien ne se passe ; personne n'entre ni ne sort. Soudain la colonne tombe. Trois minutes et demie s'écoulent encore. Rideau" .

A travers ce mouvement, nous retrouvons la problématique du corps au théâtre, aussi bien dans le dispositif théâtral qui, montrant le corps en scène, en fait un objet de perception, que dans la pratique de chaque participant (spectateur et acteur) qui s'appuie sur le corps propre.

Robert Morris projette cet espace théâtral où se travaille cette relation corps/spectateur dans l'espace de l'exposition. Effectivement, plus tard cette colonne "scénique" est montrée avec un second volume semblable (Columns, 1961-1973), chacun renvoyant aux deux mouvements de la performance, la position verticale et la position horizontale. Dans cette translation, l'uvre incite à voir l'espace de l'exposition comme une scène : la "scène de l'exposition". Chaque sculpture, posée dans des directions divergentes, implique des modifications visuelles, sensorielles et accentue une pratique propre à chacune. Cette transformation de l'objet provient donc du parcours du visiteur dans un lieu défini par les volumes et l'espace qui les contient.

Certaines données appartenant au théâtre l'espace-scène, la notion de "présence", l'expérience temporelle, la relation au spectateur - participent à développer la recherche des artistes sur la sculpture, l'installation. La sculpture s'est servie du théâtre ; la scène est devenue une préoccupation importante pour les artistes dans le désir de privilégier l'action corporelle.

La sculpture minimale tend à créer des analogies avec le corps humain (intérieur-extérieur, dedans-dehors, corps-esprit), ses relations à la gravité, sa capacité à se déplacer. L'intérêt de Robert Morris pour le corps est renforcé par sa pratique de la danse moderne dont la conception du corps va à l'encontre des formes traditionnelles de la danse (notamment la danse classique) où le geste, le mouvement sont créés pour extérioriser le monde intérieur, l'âme. Au contraire, il est question d'une appréhension des actes quotidiens pour engendrer le mouvement dans son objectivation. Ces actes sont appelés "danse du langage ordinaire" ou "task-performance" . En effet, ces tâches à accomplir (tasks) se réfèrent à des actions réelles telles qu'elles peuvent être effectuées dans la vie ordinaire (déplacer, porter des objets ou encore suivre les règles d'un jeu). Le corps exécute des tâches qui engendrent une connaissance. Il s'agit de mettre en valeur la qualité du mouvement dont l'exécution est aussi importante que celle des actions mêmes.

Telle est l'action dans Man/Oeuvre éloignée de tout souci de référence et de mimétisme par rapport à la vie quotidienne. Il y a cette idée d'un corps au service d'un acte non pour exprimer une quelconque intériorité mais pour donner à voir un "faire" au service d'une action précise comme déplacer, porter des objets ou encore suivre les règles d'un jeu. Nous nous rapprochons de la définition du terme "performance" : "Accomplissement public en tant qu'uvre d'art, ne nécessitant aucun savoir-faire particulier, sans fonction sinon d'exister fugitivement, multidisciplinaire ou tendant au niveau zéro de l'expression" .

De même, selon l'expérience d'Akenaton, nous lisons :

"() Où le corps se tient en retrait, où il s'agit de l'accomplissement d'une tâche, rien de plus. Une tâche : nous voulons dire qu'il ne s'agit pas non plus pour nous de résorber la distance art/vie quotidienne. Nous ne cherchons pas à montrer () un geste ready made, se brosser les dents, marcher dans la rue etc., comme Kaprow ou Fluxus. Nous faisons ce qu'il y a à faire au moment où il y a besoin de le faire et de la manière la plus techniquement efficace" .

Avec l'exemple de Robert Morris, nous avons, d'une part, ce déplacement de l'expérience temporelle sur scène vers l'installation, d'autre part, l'exécution d'une action-activité appelée "tâche".

Dans la continuité de la performance et donc de l'art minimal, Akenaton met en avant la question du temps. La qualité de luvre relève de la pratique physique de lartiste. Elle se réalise dans son déroulement. L'échange entre acteurs et spectateurs est immédiat, instantané, simultané. Arnaud Labelle-Rojoux explique que les artistes n'appartenant pas à la stricte catégorie des arts du spectacle (les futuristes italiens et russes, les dadaïstes, les happeners, les artistes fluxus, les performers) et en s'étant éloignés de leur pratique, posent "à leur façon, multiforme, la question de la 'scène'", dans un désir d'obtenir une situation de simultanéité entre l'uvre et le public . La scène est un moyen pour voir l'uvre non en tant qu'objet isolé et unique, mais comme un ensemble d'éléments qui s'inscrit dans la forme exposition-installation.

Chez Akenaton, la construction dun dispositif visuel en présence d'un public fait éclater la sculpture : du volume à l'installation en passant par l'action.

 

De la sculpture-performance à l'installation-action

Que se passe-t-il pendant Man/Oeuvre ?

Ici également la verticalité et l'horizontalité nous permettent d'acquérir des connaissances sur l'espace et le temps. Un parpaing, élément de base de construction, peut être vu comme une mesure spatiale et temporelle, c'est le 1, l'unité. L'ensemble des parpaings constitue au début de la performance un cube qui, tout au long de l'action, se transforme et se transporte. Nous pouvons l'assimiler à une sculpture minimale car c'est un volume de structure modulaire, de formes minimales, épurées, à échelle humaine et réalisé avec un matériau industriel. Il se décompose d'une façon aléatoire puis se recompose jusqu'à l'apparition d'un poème-mur avec l'inscription de mots sur certains parpaings. La "man-uvre" se révèle comme un acte de passation : de l'homme (artiste-performer) à l'uvre. De ce volume, entre sculpture et architecture, va donc être réalisée une construction spatiale occupations variées de l'espace, délimitation entre un intérieur et un extérieur (dans l'installation et hors de l'installation), empilement, étalement et temporelle l'action peut être découpée en x moments.

La performance commence lorsque, après avoir enfilé des gants, Jean Torregrosa déplace Philippe Castellin à l'aide d'un chariot, première action positionnant deux points : le cube de parpaings avec la présence de Jean Torregrosa et la verticalité de Philippe Castellin, debout. Entre ces deux espaces localisables, une ligne d'horizon, à l'horizontale, se construit de l'un vers l'autre, petit à petit, parpaing par parpaing. Du volume au corps, c'est un appel à l'infini, vers l'infini. Philippe possède en effet un parpaing "infini" extrait du bloc.

Ce cube est mis à plat ; les parpaings sont posés au sol, l'un devant l'autre, tels des marches à l'horizontal. Ils forment ainsi un couloir délimité par l'éclairage. Chaque parpaing constitue un socle pour l'artiste : le volume comme repère et rythme du déplacement du corps dans son action. Les mots apparaissent sans qu'aucun ordre de passage ne soit décidé : aussitôt positionnés, aussitôt dévoilés. L'exécution est ainsi fondée sur l'intervention du hasard. Nous lisons : formes, l'ensemble, également, est, toujours, poème, l'étroit.

L'action est un moyen de connaissance, de rencontre entre corps et matière. Par elle, l'artiste accède aux mots ; cette appropriation se réalise dans l'échange, la transmission (interroger le rapport entre émetteur et récepteur d'un message se retrouve également avec les entreprises du mail art). Les parpaings passent de mains en mains ; mots et volumes se transmettent par le même geste. Le mouvement de l'un (Jean Torregrosa) est repris par l'autre (Philippe Castellin), parfois à l'envers : un élément posé, un élément repris ; un élément pris, un élément remplacé.

Une gestuelle rigoureuse et répétitive, pouvant être assimilée à une règle de jeu, accompagne la rigueur et la multiplicité des parpaings. Moins utilisé comme cadre de perception que comme matériau, le temps est rythmé par des mouvements réguliers et mécaniques. La musique improvisée de Jean-Marc Montera permet d'établir toute une relation entre les rythmes et les déplacements corporels en jouant sur les contrastes et les oppositions : mouvements et immobilité, répétition et improvisation, mécanique et hasard.

A l'image de l'entonnoir, le couloir de parpaings peut se voir comme un espace propulseur de mots. Celui-ci prend fin dans un espace de jeu plus large afin de composer un ensemble de mots qui nous appelle et interpelle. En effet, les parpaings sont à nouveau empilés par Philippe Castellin jusqu'à l'alignement de quatre blocs ou colonnes. Dévoilés dans le désordre, c'est à partir de cette dernière manipulation, assemblage et empilement précis, que les mots prennent place, face au public. Ils acquièrent une plus forte présence en reprenant leur verticalité. Ils s'offrent ainsi au public, prêts à être de nouveau transportés, à l'infini.

Si les mots se découvrent à partir d'un mouvement aléatoire, c'est à partir d'un mouvement structuré qu'ils doivent être lus. Parallèlement à une lecture verticale, s'impose une lecture horizontale, de gauche à droite, de haut en bas afin de reconstruire la phrase suivante :

"Le poème est la somme de l'ensemble infini des formes à l'intérieur desquelles il se sent toujours également à l'étroit".

Il s'agit de donner corps au poème, de questionner l'objet, sa fonction dans un espace tri-dimentionnel (rupture avec le livre et l'espace bi-dimentionnel). Le poème est envisagé comme une sorte d'installation de signes, un "espace de langage" pour reprendre la formule d'Akenaton. L'espace devient dispositif, installation de volumes, tel un mur.

Je pense alors au poème de Philippe Castellin, "L'huile de plomb" (publié dans DOC(K)S, nouvelle série n° 2, été 1988) :

"Une scène est un cadre, un cadre est un rempart ()".

"Et les poètes composent des poèmes qui sont comme des tragédies

où ils découpent des scènes qu'ils nomment

Tableaux

Les poètes".

Man/Oeuvre se situe à l'interface des arts plastiques et du théâtre. L'action débouche sur une uvre à la fois théâtrale et non théâtrale dans la mesure où elle emprunte certains éléments clés du théâtre tout en s'en détachant. En effet, ce nest pas seulement une action en direct devant un public, apparaît aussi une uvre plastique :

"C'est l'objet qui doit être marqué au final" .

L'installation-action se dirige vers les matériaux suivants : la relation du corps au volume, la manipulation de mots, la distance entre les corps, l'immobilité ou le mouvement du corps et la dimension temporelle. Akenaton ne privilégie ni l'aspect événement, ni l'effet trace, mais veut donner de l'importance au résultat, celui d'une action réelle confrontée à des objets : de l'action à l'installation. Il existe une dépendance du geste et du faire, du résultat. Tout ce qui se passe est intéressant car c'est cela qui se passe. La simplicité du geste ou du déplacement est à prendre pour ce qu'il est : un acte neutre coupé de toute référence.

"Faire ce qu'il y a à faire"

Akenaton dit non à la subjectivité, au pathos, à lexpression de lego, à la dimension psychologique, au body narcissique ; leurs actions refusent la "représentation", l'illusion théâtrale. Le jeu théâtral est absent ; l'artiste-performer n'imite personne, il fait, il est le lieu de passage de flux énergétiques (gestuels, vocaux, libidinaux, etc.).

"Nous refusons toute notion théâtrale. Nous nincarnons rien. Nous ne sommes pas des acteurs, nous agissons, nous nous mettons physiquement au service dun processus" .

Ici le terme "acteur" est pris selon le sens commun : l'acteur joue un rôle, incarne un personnage. Il est alors relié au modèle du théâtre traditionnel et non au modèle théâtral défendu par les réformateurs contemporains. Il s'agit bien de "sujet" et non de personnage dans le théâtre actuel et dans la performance.

Refusant tout jeu hystérique et exhibitionniste, les réformateurs contemporains (d'Antonin Artaud à Jerzy Grotowski ou Eugenio Barba) s'appuient sur la corporéité de l'acteur, les notions de présence et d'énergie qui tendent à rapprocher le spectateur devenu actif de celui qui agit. Leurs perspectives ne correspondent plus à l'analogie établie entre l'artifice et le théâtre. La scène n'est plus censée représenter un monde magique ou refléter le monde réel. Le mode spectaculaire ou théâtral (maintien de la frontière, frontalité imposée par le cadre de scène) est substitué au mode participatif ; le voir est ainsi dépassé par le faire. Il existe une fusion du matériau et du créateur. Le corps est traité pour lui-même en tant qu'élément sensible et sensuel, élément d'une dépense énergétique construite selon sa propre logique.

Akenaton s'intéresse au corps en tant que matériau : "le corps se tient en retrait" (Cf. supra). Transparent, il ne laisse rien paraître, seul le geste ou l'acte prend du relief. Le corps de l'artiste désire accomplir un acte "organisé", non ordinaire :

"Plus qu'au corps 'organique', c'est aux gestes que nous nous sommes intéressés, et plus qu'au corps 'nature & vérité' au corps matériau, signe producteur de signes et élément plastique vivant, mouvant, éphémère. Du coup la dimension 'expressive' devient secondaire".

"Nous faisons ce quil y a à faire au moment où il y a besoin de le faire et de la manière la plus techniquement efficace" .

"Efficace", c'est-à-dire pratique, nécessaire pour la réalisation même de laction. Donner à voir ce quil y a à faire quand cest le moment de le faire selon "() une logique de l'espace, des signes, des matières" .

Le geste fait naître l'objet. L'action commence dès leur préparation et se termine lorsque le chariot et les gants sont ramenés auprès des parpaings. Ces outils propres au déplacement et au geste participent ainsi à l'ensemble de l'installation. L'efficacité des gestes, leurs cheminements, leur précision, leur répétition à l'intérieur de la partition-action incitent Akenaton à parler de ritualisation dans le sens où le rituel est un ensemble de gestes répétitifs ancrés dans le rythme de la vie quotidienne des gens. Nous retrouvons cette conception de la performance appelée "tâche". Celle-ci est alors réalisée avec précision, attention, préparation.

Leur tâche organisée se traduit par quelque chose de physique, de concret, mais en même temps cela reste dans léphémère puisque nous sommes dans le mode de laction en directe. Apporter une rupture à la matérialité - ce sur quoi le spectateur peut se poser, se rassurer - c'est renforcer laction, linstabilité, à linstar du statut du poème qui est "un non objet, quelque chose dinappropriable" . Si l'environnement prend en compte des objets, il ne favorise pas le résultat visuel, mais plutôt le processus de réalisation qui rend visible et lisible un ensemble chaotique de mots.

Mais quels mots employer pour qualifier cette double présence physique et plastique ?

Parole d'artistes

Depuis plusieurs décennies, il existe une difficulté à opérer un classement strict entre des formes multimédias exploitant plusieurs médiums et médias technologiques (poésie sonore et visuelle, performance, installation, livre, mail art, informatique, vidéo) et ne correspondant plus aux catégories artistiques classiques.

De nombreux artistes se soucient ainsi de l'appellation de leur pratique transversale. Par exemple, lors d'un entretien en 1994, le peintre, sculpteur, photographe, actionniste, écrivain, théoricien et philosophe, Michelangelo Pistoletto estime que le mot "performance" envers son travail est "impropre". Son uvre loin d'une expression individuelle se place au centre de rencontres, de dialogues avec d'autres intervenants. Elle répond à un besoin de communiquer une expérience liée à l'ensemble d'un processus de travail. Dès 1967, afin de ne pas tomber dans la production de l'objet unique, il réalise des actions dans des lieux publics. Ainsi les lieux extérieurs aux pratiques artistiques ne lui permettent pas de "faire une uvre théâtrale, mais [ de] mettre en place une manifestation qui se situe entre l'exposition et l'action". Pistoletto comme Akenaton, par leurs multiples activités, se dégagent de la performance et orientent leur travail entre l'exposition et l'action.


Akenaton manifeste la nécessité de définir une pratique entre art et performance. Le changement de mots ou expressions en fonction de l'évolution de leur pratique - "espace de langage" (le poème apparaît comme une sorte d'installation de signes) ou "Install' Action" (mêlant objet et action) - exprime l'insuffisance du langage. Dans un souci de simplicité et d'honnêteté, Akenaton a créé l'expression "Install Action", utilisée la première fois en 1987-88 à Tarascon, lors des Rencontres Internationales de Poésie contemporaine. Elle fait lobjet dun texte publié dans la revue Inter, Quebec, 1999.

La juxtaposition des deux termes l'un provenant des arts visuels, l'autre de l'art performance se montre plus précise pour nommer l'uvre. On pourrait définir le premier terme ainsi :

"L'art d'installation est un art de mise en situation de divers éléments (sonores / visuels / textuels / architecturaux / lieu / temps / lumière / objet / histoire / public...) sous forme d'un réseau particulier ou circuit ouvert rendant compte de la sensibilité actuelle de même que des conditions de vie et des préoccupations (poétiques ou autres) de notre époque" .

En choisissant le terme "action" et non "performance", Akenaton met en valeur l'acte et donc la notion de tâche, pouvant aussi faire un jeu de mot.

L'"Install' Action" est la manifestation publique du travail, le lieu temporaire d'une pensée gestuelle. De cette pensée gestuelle, nous retenons une affirmation des éléments suivants : le jeu (avec la flexibilité et le risque qui lui sont inhérents, la part de hasard), lécart par rapport aux systèmes conventionnels, linterrogation sous-entendue par des projets à saisir en tant que processus dynamiques plutôt quuvres immuables.

De nos jours, la performance, l'art vidéo, l'installation se perçoivent comme des outils, des "points de départ, des simples signifiants, des instruments" . L'acte artistique consiste à organiser un ensemble de médiums (texte, objets, corps, peinture) et de mener à bien un processus d'interaction des domaines, les uns avec les autres.

 

Actionnons le processus !

 

"Expositions murales, livres, vidéo, performances, installations, mail art, informatique, etc. Entre ces media les choix ne sont pas indifféremment : AKENATON se montre très conscient de la spécificité de chacun des langages entre lesquels sont effectués des opérations de transcodage au cours dun échange sans terme" .

Les uvres d'Akenaton sont certes isolables, cependant elles se présentent aussi comme traces dun projet global. Il est impossible de s'attacher à une seule de leurs activités, mais il est intéressant de s'attarder sur les mécanismes opérés dans leurs pratiques. Il sagit en effet d'un état desprit, dune attitude. Dans le catalogue publié par le Musée Ziem de Martigues (1993), Akenaton s'exprime ainsi : si des idées sont formulées par un seul, elles "proviennent de tout un réseau-terreau d'expériences, idées, projets aboutis ou pas" . Dans ce processus de création existe la notion de déclinaison. Chaque acte, chaque pensée ou mot n'est que le rebondissement ou le déclencheur d'un autre acte, d'une autre pensée, d'un autre mot.

L "action peut donner lieu à une installation, elle-même vouée à se transformer en objet(s) voire en livre ou en texte ()" .

"C'est le passage d'un média à l'autre qui met l'accent sur la notion de traces" .

 

De même, l'écriture peut prendre la forme soit d'un poème soit d'un texte théorique sur leur propre travail ou sur une problématique plus générale comme dans le catalogue Poésure et peintrie (exposition, Marseille, 1993). Mais selon Philippe Castellin, la réflexion théorique n'est jamais donnée comme telle dans les travaux présentés au public ; le mode d'action choisi est celui de la performance et de l'installation.

Pour finir, je souhaiterais juste faire part d'un très beau texte d'Arnaud Labelle-Rojoux, "L'artiste inventeur et la danse" (publié dans le catalogue Transpositions, à propos d'une exposition sur les relations sculpture et danse). L'auteur propose une "course de relais" basée sur le mode du remplacement. En effet, il serait nécessaire de laisser à un plasticien ou un écrivain la possibilité de penser, de créer une chorégraphie imprévisible, inattendue, nouvelle :

"Faisons de l'artiste le loup dans la bergerie bien gardée. Exercice d'immigration. Cela contribuerait à lui redonner un peu d'inquiétude. De trouble. De sueur panique. Tout ce que la dite 'scène de l'art' ne lui donne plus guère. Qu'il s'aventure. Forcé d'inventer" .

Il s'agit ici de faire "éclater" les normes, les propriétés, de réinventer de façon transférentielle : une indiscipline pour une transdisciplinarité.

Dans le catalogue d'Akenaton publié par le Musée Ziem, nous retrouvons cette idée. Nous lisons ceci et j'en terminerai là :

"Parce que le chassé-croisé affecte y compris les 'compétences' ou les 'spécialités'. Parce que souvent 'l'inexpérience', 'l'inculture' de l'un dans le domaine de l'autre peut faire surgir de l'imprévu, peut bousculer des choses et vice-versa, ce qui fait qu'il n'y a pas du tout un 'collage' de deux pratiques mais la création d'une sorte de champ d'interférence, de brouillage et d'aventure" .


Elodie Moirenc, février 2001

Texte de la conférence-présentation de Man/Oeuvre d'Akenaton dans le cadre de son acquisition par le Frac Corse (Ajaccio, le 11 décembre 2000).

 



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