INTERVIEW d'AKENATON publié en juillet  2000 par le Journal de la Corse

 

 

Tout d'abord pouvez vous en quelques mots présenter AKENATON et  DOC(K)S?

 

On peut toujours essayer! AKENATON c'est une entité à 2 têtes et parfois plus, Jean Torregrosa, Philippe Castellin. Et évidemment AKENATON ça n'est ni l'un ni l'autre ni  une addition, mais un véritable tiers, auteur de travaux  multi (ou inter) media, difficiles à classer parmi les catégories existantes. Des actions tantôt, des performances, des travaux d'ordre plastique, des installations, ou bien des livres ou des CD rom, toutes ces choses ayant été présentées à de nombreuses reprises et un peu partout depuis une quinzaine d'années. En Corse, pour ne rappeler qu'un souvenir (ici il s'impose...) nous avons eu le plaisir en 1988 de réaliser une grosse installation intitulée Semina Rerum dans les anciens locaux de l'imprimerie Siciliano... L'idée était de relier l'ancien monde, celui de l'imprimerie traditionnelle et de ses plombs, avec le nouveau, incarné par l'informatique. Nous avions même rêvé un moment de ne présenter qu'un ordinateur allumé, seul au milieu des ateliers désaffectés, enduits d'encre...

 

DOC(K)S, c'est plus simple, il s'agit d' une sorte d'anthologie permanente, fondée en 1976 par Julien  Blaine et consacrée, à l'échelle internationale, aux nouvelles formes de la poésie, visuelle, sonore, à tous les poètes qui ont pris conscience que la poésie était en danger de mort si elle continuait à ne se penser qu'en liaison avec le livre alors que les nouveaux medias se développaient. Aujourd'hui, 120 numeros ont été  publiés et, depuis 1990, DOC(K)S , dirigé et réalisé par AKENATON, est publié à Ajaccio, grâce notamment à l'aide de la collectivité territoriale qui nous a permis de relever le défi de réaliser ici un objet de référence pour la planète poétique.

 

Le dernier numero, qui vient de sortir, est un gros volume de 400 pages très denses avec un CD rom; il s'intitule WEB DOC(K)S. Qu'est -ce-qui se cache sous ce titre?

 

Dès le milieu des années 80 nous nous sommes intéressés  à l'informatique et aux nouveaux medias. En 96 nous avons publié un numero de DOC(K)S, déjà accompagné d'un CD Rom et consacré à la poésie animée par ordinateur. Ce numéro était une première internationale; salué comme tel, il a été présenté un peu partout, à Beaubourg notamment.  Du CD Rom au Web, le passage était naturel : dès 97 nous avons décidé de créer un site pour AKENATON et pour DOC(K)S. En quelques mois DOC(K)S _ ON _ LINE a ouvert ses portes - ou plutôt ses fenêtres- à la Sitec. Bien sûr, rapidement ,nous avons tenté de faire de ce site l'équivalent, sur le web, du "meeting point" qu'est DOC(K)S dans le monde des revues. Nous avons donc exploré systématiquement le web poétique en y tissant des liens, en échangeant des idées etc.

 

En 98 les choses étaient suffisamment avancées pour que nous puissions jouer le rôle de commissaires pour la section "arts électroniques" dans le cadre d'une grosse exposition qui a eu lieu tout au long de l'été, à Aix-en-Provence. Nous y avons rassemblé plus d'une centaine de poètes "électroniques" du monde entier, présenté leurs travaux sur notre site ainsi que dans le cadre de la manifestation, Pavillon Vendôme. Par la suite nous avons remanié et enrichi le résultat de ce premier travail et voilà, WEB_DOC(K)S était prêt, enfin presque!

 

 

Pour vous le CD ROM va- t -il remplacer le livre?

 

Non; prenons un exemple plus simple: la video. La video n'a pas remplacé le cinema. Mais son existence a eu de multiples effets sur ce dernier. Pour WEB - DOC(K)S, disons que la part créative liée à la poésie "animée" par ordinateur, avec des travaux où interviennent le son et l'image, ne peut être réellement présentée que sur le CD. Le livre, lui, est plus propice à des travaux théoriques , graphiques, verbaux. Et puis  il y a  le web, réseau ouvert, quasiment infini. Nous avons aussi voulu que  cet aspect soit maintenu et donc, aussi souvent que possible, nous avons présenté les objets du CD au sein du site d'où ils provenaient, en maintenant des liens. Pratiquement, pour le lecteur "branché"' c'est un moyen simple pour trouver un point de départ vers l'ensemble du web poétique, une sorte de parcours de démarrage. Quant à celui qui n' est pas connecté, s'il a un ordinateur avec un lecteur CD, Mac ou PC, il pourra lire le contenu du CD. Sans ordinateur il lui restera les 400 pages du livre, ça n'est déjà pas si mal...

 

 

C'est vous qui réalisez tout cela techniquement?

 

Oui, bien sûr. De même que pour parvenir à publier  DOC(K)S il faut apprendre à maitriser techniquement la PAO et même certains aspects de l'imprimerie, de même pour gérer créativement un site ou réaliser un CD Rom il faut mettre la main à la pâte: pas question (pour nous en tout cas) de sous-traiter. Avec le temps nous avons appris tout cela... Sans prétendre une seule seconde que la maitrise technique de la programmation (ou de quoi que ce soit du même genre) suffise pour que la poésie soit au rendez vous.

 

Au terme de ce voyage au sein du web que retenez -vous d'essentiel par rapport à la poésie?

 

Des rencontres d'abord, des artistes que nous ne connaissions pas et avec lesquels nous sommes désormais en relations, Reiner Strasser, Jim Andrews , Annie Abrahams .... Ce sont des gens qui ont développé une vraie démarche poétique sur le web. En ce qui concerne Strasser par exemple il a mis en ligne des travaux liés à la guerre du Kosovo, un poème pour chaque jour de guerre: l'ensemble figure dans Web DOC(K)S, et  c'est une vraie somme.

 

Autre chose, c'est le constat que les choses évoluent à une vitesse fantastique, parfois effrayante . Quand nous avons commencé, en 97, il n'y avait, outre nous-mêmes, dans la zone française, qu'un seul site ayant trait aux poésies expérimentales , celui d'AIOU et Jean Monod. Deux ans plus tard il y en a des dizaines, des centaines. Presque tous les poètes que DOC(K)S a publiés depuis 76 sont passés au web, tous  ceux de la poésie animée par ordinateur sont en train de le faire et ceux de la performance aussi. Et même, aujourd'hui ceux de la poésie "écrite", "classique", ce qui peut faire sourire...

 

Pourquoi "sourire"?

 

Parce qu'il s' agit de gens qui le plus souvent ont commencé (c'était hier...) par diaboliser ou mépriser le web... Et  aussi parce que le web a ses particularité, chose que ceux-ci paraissent ignorer. Un texte poétique n'est pas fait pour être "mis en ligne", ça n'est pas aussi simple, le web n'est pas son élément, c'est la page son élément. Si l'on veut travailler créativement avec le web il faut faire autre chose que du texte ou du "livre" en ligne, il faut intégrer la dimension du réseau, du multimedia, de l'image, du son etc. C'est là que ça devient passionnant, difficile et inévitablement voisin de toutes les recherches que l'expérimentation poétique a menées depuis des années, avec la poésie visuelle, concrète,  sonore, avec les pratiques liées au texte-image ou à la video : toutes ces choses dont brutalement l'on constate qu'elles étaient bien loin d'être des "bizarreries" ou des "folies", tandis que et soudain, avec le web, elles gagnent une actualité flagrante.

 

Quels sont vos projets?

 

Pour DOC(K)S nous envisageons  la réalisation d'un numero lié à la performance, avec un DVD qui présenterait une sélection d'une cinquantaine de performers internationaux. Pour AKENATON il y a de nombreuses échéances dans les mois qui viennent, expositions et performances, notamment à Lodève, Paris, Marseille...

 

 

Et la Corse?

 

La Corse, fût-ce indirectement, se trouve toujours à l'arrière-plan de ce que nous faisons . Quant au web et aux nouvelles technologies, il s'agit, selon nous, d'un un espace où la Corse a tout à gagner. Le réseau c'est la conciliation possible de l'identité et de la relation et grâce à lui nous avons pu réaliser ici un objet qui rend jaloux tout le monde, y compris et surtout les américains. Et nous avons bien l'intention de matérialiser tout cela en réalisant en Corse même un dispositif qui incarnerait cette idée. Nous y travaillons. Pour l'instant ce sont les tours gênoises qui nous font rêver. Et la polyphonie. Mais d'autres idées peuvent surgir...

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