sirènes numériques


(intervention dans le cadre d'une rencontre organisée à Paris au Point Ephémère par la revue Oscillations en Avril 2013)


Je veux commencer par poser, sans m'y attarder, que l'expression « poésie numérique » est très inadéquate pour cerner les propriétés des objets qui m'intéressent et, ici, nous intéressent. Un texte à l'écran, sur CD ou en ligne, est absolument « numérique », mais chacun se rend compte que ça n'a pas grand chose à voir avec ce que les « poètes_dits_numériques » font ou ont l'intention de faire. En vérité, et à l'emporte pièces : la poésie numérique commence à partir du moment où, derrière ce qui s'affiche et le sous tendant, il y a un code, il y a du code. Donc plutôt que numérique il faudrait dire quelque chose comme : poésie programmée par ordinateur. Je reconnais que ça n'est pas très joli, pas très poétique mais ça éviterait sans doute le genre de quiproquo qui m'est arrivé naguère lorsque, me retrouvant dans un événement lié à la poésie numérique à la même tribune qu'un poète dont je connaissais le travail d'après moi très étranger à ce domaine, et lui ayant posé la question de sa présence, je m'entendis répondre : « je me sers de QuarkXPress pour mettre en forme mes textes ».


Le code, le travail du code, donc comme plus petit dénominateur commun. Seulement voilà : tous les programmeurs ne sont pas des poètes et, à rebours, les quelques poètes programmeurs sont, en règle générale, du point de vue de leurs compétences « techniques », très inférieurs aux spécialistes en la matière. Ce qui n'importe ou ne devrait pas importer. Ce qu'on attend, devrait attendre des poètes programmeurs c'est en toute logique que de leurs « programmes » naissent des effets poétiques.


Et ça n'est pas clair : la plupart du temps c'est au travers des compétences techniques que les choses sont envisagées. S'il est exact, de ce point de vue, qu'il y a quelque chose de similaire entre les temps actuels et la Renaissance, où se noue la relation art/science, la différence saute aux yeux : Leonard n'est pas seulement un artiste de génie, il est aussi et en même temps l'un des inventeurs des sciences de son temps. Ce n'est pas le cas pour les poètes programmeurs que je connais, à de très rares exceptions près. Le premier des pièges du numérique il est là : nous faire croire que « plus c'est complexe, plus c'est difficile à atteindre du point de vue du code et mieux c'est ». Tandis que, pour les poètes, la quête de la complexité ou de la virtuosité technique n'est qu'un leurre. C'est comme si l'on mélangeait l'écriture (au sens dérivé) avec la maîtrise du geste graphétique ou des règles de la grammaire. Ce qui domine tout c'est le résultat poétique, c'est la poésie, quand bien même parlerait-on, comme je le fais, pour les poésies contemporaines de langage plus que de langue et de poésie généralisée(à l'ensemble des signifiants) plus que de poésie restreinte, seulement verbale.


Mais je ne dis pas du tout l'inverse : je ne dis pas que plus un code est élémentaire, mieux c'est ; je dis que la raison d'être des poésies numériques étant la poésie, la complexité n'a raison d'être que si elle est au service de celle-ci. Une prouesse technologique n'a rien de méprisable mais elle est une prouesse technologique. On pourrait en conclure à l'intérêt de collaborations entre développeurs professionnels et poètes mais, outre que cela nous mènerait sans doute loin du sujet, je doute fort qu'un poète supposé ignorant du travail du code puisse collaborer effectivement avec un technicien, surtout s'il s'agit d'une collaboration épisodique. Quoi qu'il en soit voici un piège, un premier piège.


Piège où, en dépit des apparences, ce ne sont pas les critiques ou les spectateurs qui tombent en premier mais, souvent, les auteurs eux-mêmes. Non qu'ils se persuadent d'être des génies du C++ ou de Java. C'est que le travail du code tourne vite à la fascination, à l'ivresse, à une sorte de vertige addictionnel auquel il est difficile d'échapper. Le code, le travail du code, a quelque chose de magique: abracadabra + touche Enter. Que va-t-il se passer, on le sait rarement lorsque on développe... Il est tentant de se laisser séduire par ce vertige. Puis, tout cela prend du temps, énormément de temps, fût-ce aux plus experts, et ce temps est autant de temps perdu par rapport à la poésie elle-même. Poète-papier, et poète qui considère que nul support n'est en soi secondaire, ou désuet, je sais bien que ce que j'ai en tête je puis m'y jeter à corps perdu sans l'oublier : un trait de crayon, une note griffonnée, cela suffira, dans l'instant de la fraîcheur de ce qui naît. Mais, dans le cas des travaux numériques, entre l'émotion ou l'intention poétique initiale et la réalisation, peuvent s'écouler de longs mois au cours desquels tout cela s'est évaporé. On voulait d'abord que « ça marche », on voulut ensuite que « ça ne rame pas » on se soucia par la suite « d'optimiser » et à la fin on ne sait plus pourquoi on l'a fait... Conclusion :

Un poète programmeur doit faire comme Ulysse, s'attacher au mat pour résister à l'appel des sirènes du code.


Je dis souvent « l'apprentissage d'un langage de programmation, C, C++, java, lingo, actionscript etc., c'est comme celui d'une langue morte, le latin ou le grec ». Alors, c'est bizarre que des poètes se lancent là-dedans. C'est bizarre, seulement c'est là que se trouve la vraie justification de l'aventure : cette langue « morte » aujourd'hui est partout à l'oeuvre, de façon plus ou moins apparente d'une part, et souvent à des fins mystificatrices ou manipulatrices. La dévoiler, la détourner à d'autres fins que commerciales ou politiques, voilà l'horizon général des poésies programmées qui par là peuvent atteindre une pertinence essentiellement critique, dans tous les sens du terme, y compris kantien, tracer des limites, aller aux limites, et notamment faire passer une lame de bistouri entre le mort et le vif.

Je veux préciser cela.

De quelle production linguistique peut-on dire qu'elle est morte ?

D'une production qui au fond découle de l'application de règles connues et non de l'invention ou de la transgression de règles. La poésie ne s'identifie pas à l'invention de règles mais c'est l'une de ses caractéristiques. Quand un poème est fort, il produit sa forme ou se produit en même temps qu'elle, alors que l'inverse n'est pas vrai : une forme forte (l'alexandrin....le sonnet) ne produit pas automatiquement des poèmes forts.


Or de ce point de vue, songeant au numérique on tombe immédiatement sur un paradoxe : le code, lui, ne laisse strictement aucune place à l'invention de règles : une infraction syntaxique, l'oubli d'un point virgule et des tas de choses du même genre, et tout s'effondre. Comment dans ce cas parler de la valeur « critique » des poésies numériques et inscrire ce que l'on fait dans une telle perspective ? -C'est l'une de mes questions. J'y réponds en disant que leur pouvoir est de manifester au négatif ce qui échappe aux règles. C'est là qu'elles prennent du sens. C'est obscur ce que je veux dire ?


Non, c'est simple. Prenons un exemple, celui des générateurs de textes. Que depuis Chomsky et même avant, les programmeurs se soient intéressés à la question des « machines qui parlent », et donc à l'élaboration de programmes très complexes mettant en oeuvre des bases lexicales ou des hypothèses quant à la grammaire de telle ou telle langue, c'est bien connu. Cependant au final sur quoi débouchent ils ??? -Certes, sur une meilleure maîtrise des structures syntaxiques, voire sur la possibilité de générer un ensemble infini de phrases grammaticalement correctes, mais aussi, et en même temps, sur la prise de conscience que les conditions générales de l'énonciation font que la question du sens demeure

hors d'atteinte, qu'elle relève non pas seulement d'une sémantique classique mais au moins d'une pragmatique. Pour ne parler que de la question du sens et passer sous silence celle, tout aussi capitale et encore plus compliquée de la valeur ou non valeur poétique d'un énoncé. Je retiens en tout cas que, quel que soit le système de règles choisi pour décrire ou générer une langue, existera toujours un ensemble infini d'énoncés, non corrects ou non valides aux yeux du système, ensemble dont se nourrit le langage, ensemble qui s'identifie à la poiesis.


Ici on retrouve mon idée des « limites » : ce que manifestent les travaux évoqués ce sont des limites, de plusieurs ordre d'ailleurs. Et notamment d'ordre poétique : la machine que je décris pourra bien , si on lui donne un ensemble de règles, mouliner un nombre infini d'alexandrins ou avec un autre système de règles générer un nombre infini de poèmes surréalistes, mais jamais elle ne générera rien d'autre que ce qui découle des règles. A rebours, il suffit d'aller dans un bar pour, tout à trac, y entendre jaillir une expression parfaitement neuve, un jeu de mots, une métaphore, un « tour », qui ne figurent dans aucun répertoire. On me rétorquera peut être que les capacités combinatoires d'un ordinateur sont telles qu'au bout de n essais lui aussi aurait pu générer une « expression » similaire. C'est vrai, mais sa valeur signifiante et sa qualité poétique dans le contexte du bar, ça l'ordinateur ne le fera jamais. Il y faut au moins un humain qui consultant les millions de résultats qui s'affichent opère le tri entre ce qui lui semble a) signifiant b) poétique, et tout le reste. On constate la même chose avec les traducteurs automatiques : là où ils sont le plus performant c'est dans le domaine des langues mortes, réduites à un système clos de règles, qui déterminent à rebours solécismes et barbarismes. Mais la poésie, elle est toujours singulièrement barbare.


Est-ce dire que la génération de textes (ou choses semblables) ne peut avoir sa place en poésie ? -Oui et non : non si l'on s'imagine que l'on va positivement fabriquer du poétique, succombant ainsi au mythe, extrêmement puissant et énigmatique, autre piège du numérique, d'une machine qui dispenserait l'homme d'avoir à être ce qu'il est et l'allégerait, ouf, d'une quête épuisante, tout comme si, conscient du but et même hanté par lui on espérait très illusoirement qu'il puisse être atteint et de plus de façon constante par un ersatz de soi-même. Oui si l'on s'assigne un objectif inverse, ou très précisément critique, celui de mettre en évidence le mort (qui se cache souvent sous les oripeaux du vif) en

manifestant à quel point la machine peut exceller dans ce domaine, celui des langues cadavérisées et des voix de synthèse. Donc fabriquer à la chaine une pléthore de « syntagmes figés » non pas en croyant que l'on se rapproche par là de la poésie, mais pour susciter l'idée que « la langue » ce n'est justement pas cela.


C'est à partir de ce type de considérations que j'ai développé, en ce qui me concerne, plusieurs applications qui ont cette ambition critique, ou si l'on préfère « ironique », en visant des domaines assez variés mais ayant tous en commun d'être gouvernés par des règles ( ce sont donc des domaines formalisables : « morts ») . Toute langue de bois, politique par exemple, s'y prête. Mais au delà, ce syndrome, celui des syntagmes figés et des règles formalisables, n'est pas sans rapport avec l'un des traits caractéristiques de l'art contemporain, celui de s'enfermer très vite dans des « formules » et des tics, eût dit Lautréamont, qui sont comme des signatures. Bref, si la machine peut s'emparer de l'art c'est que l'artiste, a un certain moment – qui est peut être consubstantiel à toute oeuvre y compris naissante – se transforme en sa propre machine et s'auto-clone : se mue en un singe de soi ; que ceci soit explicable par des raisons sociologiques (on ne change pas un produit qui se vend, marque et marché obligent) ou pour ces raisons plus profondes, que j'évoquais tout à l'heure en parlant du mythe de « l'automaticité ». Le pouvoir de l'algorithme est directement proportionnel à la production de l'oeuvre, en série à la moulinette, et c'est pourquoi je dis : l'algorithme est un rasoir d'Ockam, il permet de trancher entre le vif et le mort .


Vous avez compris que j'ai un certain esprit de contradiction. Il ne se borne pas à refuser la virtuosité des jongleurs de tessons de bouteilles, les tics en tout genre qui nous infestent et font que l'humain n'est plus que sa propre grimace, il me conduit, aussi, à m'opposer à un autre ensemble de mythes très présents dans l'ordre du numérique où ils ne font d'ailleurs que refléter des idéologies répandues dans l'ensemble social. Par exemple celui de la puissance, par exemple celui de la vitesse, qui ne fonctionne pas seulement pour les voitures mais pour les ordinateurs, où ça se nomme cadence, Ram, CPU etc.


Là, il faut souligner un point. Le poète du crayon et du papier peut assez aisément, même si ça n'est pas facile à vivre et encore moins d'en vivre, occuper une position « marginale » par rapport au monde qui l'entoure. Le poète numérique, lui, ne le peut pas ; en dépit de cette apparence qu'il donne ou dont il est lui même victime il n'a rien d'un deus ex machina : il dépend. De l'électricitré, des réseaux, de Bill Gates ou des commerciaux et ingénieurs de SilliconeValley. Certes, il y a le programme ; mais le programme jouit d'une indépendance relative : les langages informatiques évoluent, se transforment, décrétant « obsolètes » telles ou telles fonctions. Pour des raisons qui sont tout sauf créatives ou même techniques les réseaux se bardent d'interdictions multiples : java security exceptions. En outre le programme doit être exécuté et ne peut l'être que par une certaine machine, nantie de caractéristiques précises et rapportées à des considérations commerciales ou sociales, qui interfèrent nécessairement avec l'exécution. Il est arrivé à chacun d'entre nous de concevoir des usines à gaz parfaitement fonctionnelles du point de vue du langage informatique mais pratiquement impossibles à mettre en oeuvre par la machine : trop de lenteur, pas assez de vitesse, manque de puissance. L'inverse étant d'ailleurs envisageable : qu'une application qui tournait « comme une horloge » sur des machines antérieures s'avère inadaptée à des modèles et/ou OS plus récents. Difficile alors de résister à un autre cohorte de sirènes, celles de la consommation : changer de machine, changer d'OS, Update! -A la quête de la complexité que j'évoquais tout à l'heure s'ajoute alors alors en celle de la novation, de de la performance : toujours plus vite !


C'est en réfléchissant sur cet autre aspect des mythes liés au numérique que j'en suis venu – esprit de contradiction oblige – à m'intéresser à des choses comme la lenteur ou l'impuissance, et c'est , en partie, de cette intention là aussi « critique », que j'ai conçu le projet des « images lentes ». L'un des tous premiers programmes que j'ai réalisé et qui s'appelait Eureka ! (il s'appelle toujours comme ça) l'a été sur un ordinateur Thomson des années 80, avec je ne sais plus combien de RAM mais sans doute pas plus de quelques dizaines ou centaines de K : un ridicule pois chiche ! -Le programme consistait en un tableau de lettres, celles qui composent le mot EUREKA ! Et il devait piocher dans ce tableau avec une fonction random() d'où pouvait naître donc un nombre considérable d'assemblages , aussi bien EEEEEE ! Que ARAKOU !, lettres qui en outre pouvaient être orientées selon une autre fonction random, faisant varier leur affichage selon un angle qui allait de 0 à 2PI radians. Enfin l'instruction était de s'arrêter de chercher et d'afficher en clignotant comme un arbre de Noël quand EUREKA était trouvé, les bonnes lettres à la bonne place et dotées d'un angle de rotation adéquat. J'ai installé cette machine et ce programme dans une librairie galerie. Le programme a tourné pendant une douzaine de nuits et de jours avant de « trouver » EUREKA.

Avec quelques modifications j'ai pu, il y a quelques années, porter le programme sur une machine actuelle. Elle a trouvé en quelques minutes. Aujourd'hui, peut être en quelques secondes... Progrès ? -Non, le premier dispositif avait une valeur poétique à mes yeux bien plus forte, bien plus signifiante et cela m'a convaincu que la « vitesse d'exécution » ne garantissait en rien la poéticité de l'oeuvre. Pas plus que la complexité, ça n'est pas parce que ça bouge vite, que ça tourne à fond la caisse que la poésie est au rendez vous. Dans certains cas, oui, dans pas mal d'autres aucunement. Changé ce qui doit l'être je dirais exactement les mêmes choses concernant le « multimedia » : ajouter du son, on le peut, certes, mais pourquoi ? Pour faire riche ?

Donc les images lentes procèdent de ce constat, auquel s'ajoutent certains autres aspects de mon parcours créatif, liées aux rapports entre le mobile et l'immobile, en bref à la question de la temporalité en art. Exemple ce qu'en video on appelle des images clefs, ou des boucles, sachant bien que la gestion de la temporalité, sous des formes fines, non linéaires et variées, y compris interactives, seul le code le permet.

Enfin, les Images Lentes procèdent d'une réflexion plus générale à propos de l'art, de sa diffusion et des réseaux : pour un ensemble de raisons, les artistes contemporains, voulant échapper au circuit du marché de l'art, des collectionneurs et des galeries privées, se sont malicieusement et consciemment orientés vers des oeuvres a priori « inachetables »: on ne va pas installer un emballage de Christo dans son salon. Revers de la médaille : c'est au travers de très grosses machines que la diffusion de ces oeuvres s'est opérée et s'opère, ce qui amène à une institutionnalisation et à une spectacularisation de l'art d'une part, et de l'autre, s'agissant du privé, de la « maison » si vous voulez, au fait que dans la plupart des apparts d'aujourd'hui c'est la télé qui remplace les quelques chromos ou reproductions d'antan, est ce un progrès ? -Réfléchissant et sur la lenteur et sur les réseaux, je me suis alors dit que pour résoudre ce paradoxe il fallait s'efforcer de fabriquer et mettre en ligne des images qui au fond sont comme des tableaux, sinon que, ainsi que le code et lui seul le permet, elles peuvent se développer et se modifier insensiblement, comme les arbres poussent et comme les saisons, et bien d'autres choses, passent.

Je dis le code et lui seul.

Parce qu'évidemment on aurait tendance à croire en premier lieu que la video permet cela. On prendrait n'importe quel film, on le ralentirait et hop, le tour serait joué. Or, pas du tout, si on prend un film video et qu'on le ralentit on arrive au résultat opposé : à une succession de discontinuités brutales et pas du tout à un flux insensible. Pour atteindre à l'insensible il faut passer par le code, par exemple en récupérant toutes les valeurs RGB de l'ensemble des pixels d'une image et en les faisant varier selon un algorithme qui permette de balayer la roue chromatique image à image et pixel à pixel. Pour être plus concret : nous sommes, avec Jean (akenaton) partis par exemple du film le plus célèbre de l'histoire video documentaire, l'assassinat de JFK. Ce film, réalisé par un amateur, dure 26 secondes. Je l'ai transformé en un ensemble d'images fixes, livrées en pâture au programme, en lui demandant de transformer chacun des pixels de l'image i en ceux des pixels de l'image i++, cela non d'un coup, mais pixel à pixel et en balayant les valeurs RGB. S'en suivent n images qui ne sont pas du tout présentes dans le film initial et qui, elles mêmes décomposées en images fixes et soumises au même traitement peuvent donner naissance à N puissance 2 images : ainsi de suite et tant qu'on veut. Parvenu à la dernière image, l'instruction s'inverse, il s'agit de revenir à l'image [0] selon la même procédure, ce qui au total donne une boucle à durée infiniment paramétrable (et variable selon la machine) pour le cas 26 minutes, en écho aux 26 secondes du film initial. Ce travail a été exposé en galerie. Et la réaction des spectateurs a été surprenante. Non seulement ils n'ont pas reconnu le film source (l'image 1 est très quelconque) mais de plus compris que « cela changeait » presque par hasard. En repassant devant l'écran une heure après, alors que s'affichait une image différente de celle qu'ils avaient vue au début, sans qu'aucun changement ne soit immédiatement perceptible. C'est cela que j'appelle une image lente. Ca n'est pas fait pour être regardé comme un film, ça n'est même pas véritablement adéquat aux conditions de monstration en galerie, c'est fait pour être au mur, comme un tableau, comme une plante verte, comme un bocal à poissons rouges, dans une maison, dans un appartement, connecté à un ordinateur, lui même, le cas échéant, connecté à internet en sorte que l'habitant puisse, le souhaitant, choisir une autre série d'images.

Ce qui gêne dans tout ce que je viens de dire c'est que, au fond, à chaque fois que l'on veut dire des choses un peu sensées à propos des poésies numériques, je veux dire des choses un tantinet réfléchies et surtout expérimentées, on tombe bien vite sur le substantif plus que sur l'adjectif. Si 'on place le poétique au poste de commande, impossible d'y échapper : ni des développements historiques, ni des développements techniques, ou sociaux ne le permettent. Ils ne sont que de faux fuyants. De quoi que l'on parle, du hasard, de l'interactivité sous toutes ses formes, des aspects multimodaux et du code numérique comme esperanto dans les relations intégratives et interactives que l'on peut établir par là entre le son, l'image, le verbe et bien d'autres choses, y compris et surtout dans le cadre des performances « live », c'est sur cela que l'on retombe, la poésie, le poétique + (visualité oblige) l'esthétique ou les valeurs plastiques. Bien sûr que le travail du code (et pas que lui au reste) autorisent la gestion paramétrée du hasard, un ensemble d'éléments, 2 ou 3 règles d'assemblage et d'exclusion, et hop, enter, c'est parti pour 2000 ans : mais est ce que ça quelque intérêt ??? -Bien sûr que l'on peut aisément utiliser une banque de données absolument quelconque, la courbe du chômage ou les températures relevées dans l'ensemble des capitales du monde, pour affecter ces valeurs aux variables qui mettons commanderont à l'apparition d'une image ou d'un son. Et alors, je répète et alors ???-bien sûr que l'on peut faire qu'une kinect détecte les mouvements d'un spectateur qui passe devant son oeilleton et déclenche un orage moléculaire et particulaire à l'écran fonction de cette présence et de son déplacement. Et alors ??? -Si tout cela n'est pas radicalement et sauvagement soutenu par un sens je n'y vois aucun intérêt sinon de curiosité. Ce qui ne veut pas dire que, sous la réserve du poétique et du sens, je ne puisse être convaincu par des travaux qui mettent cela en oeuvres, voire m'y employer moi même. Un seul exemple, les divers travaux, récents, que j'ai développés pour récupérer des flux rss d'information en temps réel et les retraiter pour en faire, évidemment avec une certaine intention critique ou ironique, des travaux dont je pense qu'ils ne sont pas pires que la moyenne des productions dans ce domaine...

Bref, je devrais terminer en m'employant à définir « l'effet poétique » . sinon que, sur ce point, j'ai tendance à répondre en parodiant Wittgenstein « ce qu'on ne peut programmer il faut le taire ».

je signale enfin que bien des thèmes ici abordés sont présents, plus amplement développés dans le livre que j'ai publié au dernier télégramme, Update!

 

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