<<

X-Sender: jgava@mail.univ-savoie.fr
Mime-Version: 1.0
Date: Fri, 27 Oct 2000 10:26:53 +0100
To: akenaton_docks@sitec.fr
From: Jean-Paul Gavard-Perret <Jean-Paul.Gavard-Perret@univ-savoie.fr> Subject: Réponse à quel
est votre guerre?

Jean-Paul Gavard-Perret

LEGITAMATER LA RECUP

(Qu'est-ce que ma guerre)

Ma guerre c'est celle contre les écrivains mégalomaniaques dans leur exploitation sans scrupule de leur fantasme de réalité qu'ils veulent faire passer pour nôtre. A ce titre Angot est le modèle de cette imposture de la viande vendue en sit-com littéraire. Cultivant son scandale d'une manière beaucoup plus obscène qu'un Nabe, se voulant rebelle, dissidente elle ne cherche qu'à se faire récupoérer et se vendre (ce qu'elle fait plutôt bien). Il est vrai qu'elle aurait tort de se priver. Elle sert des plats avariés mais il y a du monde à sa table : la mode appelle le (beau) monde et il n'y a pas jusqu'à Laetitia Masson - pourtant cinéaste plus qu'honorable - de s'esbaudir et de voir en elle le génie du millénaire à venir, bref un Joyce en dentelles . On s'en doute son dernier livre (« Quitter la ville ») est recommandé par tous (ou presque), il est donc à lire "ASAP" comme l'on dit maintenant, c'est-à-dire As soon as possible. On ne peut d'ailleurs le manquer: sa couverture médiatique en cette fin d'année dépasse presque celle du livre de Beigbeder ce qui est un comble , battre un auteur qui comme lui s'y connaît dans la publicité prouve un certain génie, ou plutôt un génie (médiatique) certain. Petit bémol cependant : Angot possède les grâces de Laetitia Masson et de bien d'autres stars qui vous font - ou défont - une réputation, mais n'a pas obtenu le petit plus qui fait la différence, celui que pour sa part Beigbeder a réussi à conserver : un livre de Houellebecq ("La privation du monde") qui paraît pour défendre "99 f.". Mais gageons que ce sera bientôt le cas pour Angot : quelques thésards charognards doivent déjà traîner dans des couloirs de facultés Paris I ou Paris VIII pour extraire des pages angotiennes un quelconque intérêt et peigner dans le sens du poil la mégalomanie galopante de celle qu'ils craignent d'avoir comme ennemi et on les comprend puisque notre serial-killer avouait dans un Nouvel Observateur de septembre 2000 : « mes ennemis je finirai par les tuer ». Christine-Buffy contre les vampires en quelque sorte...

La vérité est devenue la spécialité (ou plutôt le fond de commerce) de celle qui feint sans cesse de cracher dans la soupe littéraire pour la troubler (dit-elle) et qui fait de l'écriture une délation alors qu'elle ne peut être si écriture il y a vraiment une déliaison. Mais passons. Angot croit ainsi atteindre ce que Nietzsche écrit dans le fragment 16 de Humain trop Humain :"Toutes les bonnes choses sont de puissants stimulants de la vie et l'est même un bon livre écrit contre la vie". Mais le problème c'est que Angot n'écrit pas de bons livres mais des livres à succès, et elle n'écrit même pas contre la vie mais contre des images-leurres, des stucs de la vie. Le bon que nous dénions ici à l'auteur n'est pas à entendre sous couvert d'affaire de goût (ce nouveau concept mou qui fait les beaux jours d'une philosophie elle aussi plus tendre qu'un Macdo) mais d'écriture. Il faut en effet se situer là où Angot croit se placer : du côté d'une écriture autant achevée, qu'irrépressible autant neuve qu'incolmatable, bref du côté de la déliaison. Hélas elle n'est pas de ce côté là, elle est même une nouvelle fois à l'opposé, dans un remix féminin de Joyce et de Beckett. Le problème c'est que justement il n'y a là où il y a remix (bien dans le goût du temps), sampling littéraire il n'existe plus de littérature, si ce n'est une littérature du docteur Gibeaud, une littérature de confort qui joue sur une sorte de schizophrénie affichée. Le roman vérité à la Angot, serait donc un pas chassé (le Tango d'Angot pour faire simple), un pas de deux qui servirait pour l'auteur de feinte de psychanalyse en acte et fléchée et pour ses lecteurs de moyen - par l'horreur et le douleur de la pauvre dame - de destresser. Angot applique ainsi une méthode, une copy-stratégie qui lui a réussi. Oh certes elle adhère à son produit, fait corps avec lui pour sa promotion - se dit « pute » de média mais adore le rôle de diva médiatique : ses retours d'inconscient le prouvent à chaque instant dands « Quitter la ville ». "Juste" retour des choses les lecteurs et la plupart des critiques adhèrent à son projet (même sans avoir lu ses livres). Directrice de création (comme on dit en publicité) de sa propre image Angot obéit quasi militairement à une marche en règle et forcée vers ses clients pour leur imposer du désir qu'elle a décrété bons, des clients d'ailleurs selon elle à éduquer et qu'elle n'hésite pas à mépriser du bout de ses paroles lorsqu'ils ne marchent pas à son trip (en gros ceux qui ne la suivent pas sont réactionnaires, machos, imbéciles - prière de barrer les mentions inutiles).

C'est sans doute plus qu'ailleurs avec « Quitter la Ville » que l'évidence est mise à nue, que cette sacro-sainte vérité dont nous abreuve Angot fait retour. Qu'est cet aveu sinon une somme mégalomaniaque rarement poussée à ce point. Sous prétexte de se monter un piédestal de splendid isolement, se prenant les pieds dans son propre inconscient, Angot se trahit elle-même. Croyant se monter en exception on la voit telle qu'elle est vraiment croupissant/jouissant dans le jus médiatique, notant consciencieusement toutes les émissions où elle a pu faire son show, son psy-show comme pour se rassurer eller-même de l'adoration dont elle est l'objet, pour le rappeler à ses lecteurs jusqu'à des épisodes grotesques de feinte modestie : après avoir fait son numéro à la librarie Molière (« épuisée, épuisée j'étais » dit-elle, à une retardataire qui ne l'a pas vu et qui demande si elle est Christine Angot, l'écrivain répond « non » : elle y voit une façon de s'effacer, n'y verait-on pas un retour d'ego que le plus nul des psychanalystes décrypterait sans peine. De fait elle parvient au mieux que de captiver (certains). Il n'existe en effet dans son écriture rien d'autre qu'une langue de bois, un style "Maalox" ou "Digest". A ce titre et contrairement à Houllebecq (même dans ses ambiguités) n'est pas une hors la loi. Mais le contraire même.. Sous couvert de pétard tout repose en paix. Son rituel d'exorcisme fait de ses livres des romans d'épouvantes à la petite semaine et ne valant pas moins mais pas mieux qu'eux. Il n'y a pas ici création, parlons tout au plus de créativité et certainement de commerce. Angot est un produit marketing, et si l'on admet que le marketing est la perversion de la démocratie on voit tout de suite où se situe celle qui se veut la plus libertaire et politiquement incorrecte de nos écrivains. Il y a de quoi rigoler - enfin presque au moment où Angot sorte de parangon de la littérature d'aujourdhui n'aura fait que « sur le mode de la frustration fascinée l'exhibition de sa toute puissace : celle d'une valeur creuse à la mode du temps » (Philippe Forest). Telle est ma guerre : le mot est sans doute trop fort mais il est temps de lutter contre les outres gorgées de prétention qui veulent nous faire croire à une littérature de l'être alors qu'il ne s'agit que de littérature à l'encan.