Pour Daniel Sporri, ancien danseur étoile

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Joël Hubaut

“le grand écart”

( entre sub‑sculpture et méta‑langage dense)

“ L'art, c'est le faux ! “ Degas

je n'ai jamais voulu être peintre, je voulais être danseur de claquettes ‑Andy Warbol

Je peins, je dessine, j'écris, je performe, je chante, je filme, j'installe des objets, j'arrange, j'organi­se pas mal de trucs plus ou moins définissables dans la dispersion la plus élémentaire et cela depuis 30 ans. J'ai débuté mon travail sur les épidémies et le mixage en oct.l969. J'ai toujours été “artis­te grossiste”; pour la finesse des métissages je m'intéresse aux structures composites, je suis donc compositeur. Je lutte contre l'intégrisme de la spécialisation dominante et contre les cloisonnements monomaniaques en tout genre, je suis farouchement mix‑média et mes outils, mes supports, mes matériaux assez imprévisibles peuvent‑être très divers selon les nécessités et les exigences. Nous sommes maintenant en 1999, J'ai 52 ans et  je ne sais toujours pas “sur quel pied danser “. J'ai voulu prendre à la lettre cette expression négative qui semble vouloir démontrer que ceux qui papillonnent dans toutes les directions sont des individus immatures, complètement dispersés et sans volonté, incapables de faire des çhoix avec conviction et détermination. Au contraire, ie recherche cette impureté farouchement. Je souhaite la çonfrontation avec l'instabilité, l'incertitude, l'indéter­miné et le chaos que les changements d'idées provoquent et ie persiste, à vouloir m'aventurer dans l'errance et le nomadisme pour circuler dans un flux rhizomique et contagieux sans destination et hors de toute cette prévisibilité que j'exècre. Je veux éprouver l'accidentel et l'inattendu et tenter toujours des nouvelles expériences plutôt que de me satisfaire d'acquis stériles en développant une virtuosité et une dextérité que j'ai du mal à prendre réellement au sérieux. Je sais que je sais un peu dessiner et c'est vrai que par faiblesse et complaisance, j'aurais tendance à profiter de cette qualité parce que c'est plus rassurant, mais au contraire, ie veux lutter pour échapper à cette routine sécu­risante. Je veux rejeter cette habileté et cette séduction en me confrontant à des situations inconnues et déstabilisantes pour me retrouver projeté chaque fois au degre zéro comme un grand débutant qui doit tout recommencer. Les balbutiements que provoquent toutes nouvelles activités sont stimulants pour l'imaginaire, je redécouvre l'apprentissage en opérant de nouvelles combinaisons qu'il faudra vite abandonner dès les premiers perfectionnements pour surtout ne rien maîtriser, ne rien savoir qui serait définitivement une espéce de solution. C'est dans cet esprit d'insatisfaction, d' exigence et de provoc. que j'ai déclenché un nouveau travail pour jouer au danseur et au chorégraphe. Je n'ai aucu­ne relation avec la danse professionnelle, sinon que j'ai apprécié l'exceptionnelle et fulgurante remi­se en cause des canons classiques dé‑construits à partir des années 60 et j'ai pu constater l'impres­sionnante créativité réalisée dans ce domaine en peu de temps et en tant qu'artiste plasticien, je reconnais avoir plus d'affinité envers ce médium qui est une sorte de sculpture instantanéiste qui m'interpelle dans son processus environnemental et performatif au détriment du théâtre que je conteste en majorité sauf quand il puise dans une scénographje mutante mixant danse, performance, installation, projection et concert multi‑média. Comme je possède un corps qui me possède sans vergogne et que je suis conscjent que c'est de ce corps que je pense, que j'écris, que je peins et que chacun de mes souffles est une petite chorégraphje subliminale qui vaut bien quelques attentions même ludiques pour embrasser des vertiges incommensurables, j'ai envje de remuer sauvagement un doigt, une oreille pour entamer un ballet grandiose virtuel imperceptible car il ne peut s'agir que d'une fiction majeure et tel un ready made animé, je veux laisser l'ombre de mes gesticulations men­tales comme une stéréophonie active présumée et conceptuelle dans la physicalité des hiatus de l'es­pace‑temps indéfinissable et suspendu. Je me suis toujours méfié des souplesses dérisoires de l'ai­sance, que ce soit par le don du ciel ou pire; cette sorte de grâce obtenue par l'effort et la discipline avec cet entêtement laborieux, systématique et frénétique du petit singe savant qui peut exécuter des prouesses machiniques spectaculaires à force d'imitations consciencieuses. Je ne retrouve pas le “dépassement de soi” dont parle Nietzsche dans tous ces exercices de style dont le hut semble des­tiné à devenir expert, spécialiste, exhibitionniste, spectaculaire et compétiteur, que ce soit dans l'ap­prentissage du dessin d'académie ou bien dans ces cours de musique de conservatoire ou encore par ces rnades gymniques plus ou moins élaborées imposant le corps humain comme une super machi­ne rutilante.C'est justement de ce corps qui déféque, qui rit, qui souffre, qui boite, qui s'use, qui se ride, qui se coince, qui s'ankylose, c'est de cela, de cette ivresse de vie incertaine et imprévisible, que je me ressens grand danseur, chanteur, acrobate, peintre, dessinateur, bagarreur, amant, ivrogne, animal avec mes rhumatismes et mes coliques, avec ma fièvre et mes envjes de rire,  avec ma colère et ma souffrance et ma fainéantise et ma maladresse et ma disgrâce et ma médiocrité et mon embon­point et ma scoliose et ma gaucherie et mon angoisse et ma mollesse et je me moque de cette cari­cature de sublimation de beauté de perfection de merde qui me rappelle les souvenirs odjeux et fana­tiques du corps parfait exalté pour une race athlétique supérieure et fasciste. Au contraire, j'aime le différent, le bizarre, l'étrange, le biscornu, le mal foutu, le tordu, le déformé, le singulier, le fragile, le maladroit et la faiblesse et le grotesque et l'insolence du désir d'oser bouger dans sa tête et dans son corps et d'essayer d'aller à l'endroit où justement il n'est apparemment pas permis d'aller et j’y vais, je vais là où il ne faut pas et je veux plonger et je veux sauter avec mon gros cul et mon gros ventre et mes poumons essoufflés et mes gestes patauds, (quoi que tu fasses ! fais autre chose !) et c'est parce que je suis nul et moche et fatigué que je sens que je suis exactement celui qui doit aller s'exhiber avec les plus grands danseurs du monde parce que je le veux et parce que je le veux et parce que je le veux et je vais essayer de simuler cette nouvelle posture fictive et parodique à travers le champ professionnel de la danse contemporaine et je vais m'infiltrer dans ce réseau comme un gen­til virus et je vais m'installer auprès des plus grands spécialistes et je vais le faire et je vais envisa­ger une stratégje de quadrillage total en déclenchant une sérje de chantiers sur ce sujet de Dance-­fiction et ce sera  «LE GRAND ECART», une pièce d'esthétique / contact comme «sub‑sculpture très dense» et je pourrais mener la danse et inventer des chorégraphies spongieuses et décalées...

Deux évènements de mon activité antérjeure semblent être une liaison avec ce nouveau projet qui me conduit à une sorte de boucle rythmique » Dance‑Fiction». J'ai réalisé en 1980 au Musée d'art moderne de la ville de Paris une performance « Mixage Shaker ». J'étais habillé en petit rat d'opé­ra et je chantais en pataugeant dans un bac rempli de fuel avec mon tutu blanc et mes gros chaus­sons faits sur mesure. Plus tard, j'ai réalisé en 1986 à Paris, au (Café de la Danse, une performan­ce avec Félix Guattari. Durant cette performance, je m'encombrais de plus en plus d'un grand nombre de planches, de madrjers, de poutres, de tasseaux, de baguettes de bois, j'en ajoutais à chaque fois jusqu'à devenir une sorte de gerbe‑bouquet chaotique, un gros fagot hirsute et dépareillé et je chantais, jusqu'a la transe, courant, dansant, sautant dans tous les sens en mimant une danse africaine avec ce fardeau de 3 à 4 mètres d'envergure et mes gesticulations nerveuses de bûche­ron/oursin/danseur devenaient de plus en plus dangereuses et gênantes et je me transformais peu à peu durant cette «danse d'encombrement» en véritable sculpture mobile de grande envergure comme ces «Parangolés» conçus pour être portés pendant les défilés de Samba à Rio de Janeiro, transformant le danseur en sculpture vivante dans les Favelas et que propose l'artiste Helio Oiticica. Ma danse d'encombrement était très dangereuse sur le plateau  car Félix Guattari qui ne pouvait pré­voir mes tournoiements impromptus risquait chaque  seconde de recevoir un mauvais coup; il y avait aussi Julie, une petite fille de 6 ans habillée d'une jupette  gonflante à qui j'avais demandé de tour­ner sans cesse en rond autour de nous en formant un çercle, elle traînait une casserole que je lui avais attachée  au cul, en tournant elle vaporisait un bon parfum dans le cercle magique. Félix Guattari avait accepté  de participer à cette expérience et il avait bien apprécié l'épreuve incongrue, assez  brouillée, comme un écart à son activité. Nous avions évidement beaucoup parlé de l'écart.

Le concept de «grand écart» est hyper fluide. Il irrigue un méta‑langage en opérant par glissement, mixage, dérive, itinérance, flottement, déviation, contournement, expansion, hybridité, contamina­tion. L'approche contiguë et versatile  se propage par infiltration, greffe, simulation, leurre, fiction. épidémie. Ce n'est pas tant la zone touchée, ciblée et traversée qui est l'objet à déstabiliser, à dé‑ver­rouiller, en l'occurrence le territoire spécifique  de la danse contemporaine, mais bien le sujet actant et circulant qui est expérimenté en hors‑piste pour une dé‑territorialité fluctuante délibérée. Ce n'est évidement pas la danse  qui est malmenée, c'est moi‑même,  mon identité  en tant qu' objet du sujet peignant, sculptant, performant que je distords  sans peindre, sans sculpter, sans performer. C'est le projet de déplacement qui compte, c'est ce déplacement même de réalité qui convoque la pièce en tant que sub‑sculpture «dance‑fiction». Une cristallisation  d'énergie, un transfert de fusion, un grand écart comme hiatus actif avec,  dans son espacement interstitiel, l'apparence d'une sub‑sculpture latente  mais dense. Ma sub‑sculpture est comprise dans le processus relationnel  des multi‑chantiers envisagés et la fiction  vécue, c'est ce flux‑contact qui induit la sub‑sculpture même dans son mou­vement de réalités éparses projetées un peu comme les ondes de connexions établies entre le cul du coureur grimpant une côte  “en danseuse” et la selle du vélo. Ca ne touche pas, les parties indépen­dantes  restent autonomes, la posture «en danseuse» empêche tout contact avec la selle mais le binô­me est fondateur d'une intensité électro‑magnétique qui rend à l'un et l'autre des constituants isolés un hyper‑contact qui les soudent sans connexion apparente, et c'est l'espace vacant entre les deux qui produit l'interface de la sub‑sculpture dense comme une électrolyse de super Hiatus où deux élé­ments bien que sans contact en apparence proposent une connexion en duo d'une telle compression qu'ils semblent dépendre totalement l'un de l'autre.

Run! Run! Run! Voulez‑ vous m'accorder cette  dance de réalité flux‑contact?

Nous tenterons un binôme fusionnel cristallisé en tirage couleur pour fixer le bon moment hi! hi! hi!

Quadrillage  Dance‑Fiction:

Chantier «Dance Partner»: Réaliser une série de photographies/contacts avec des grands choré­graphes et danseurs. I1 s'agit de poser auprès d'une star de la danse en simulant une figure en duo. Je ferai aussi une vidéo de la rencontre avec chaque chorégraphe. J'ai évidement besoin de la com­plicité de ces stars de la danse qui cautionneront mon action en acceptant de figurer à mes côtés. J'ai commencé à contacter des grands danseurs pour leur proposer cette séance photo. Le projet du binô­me démarre très bien .

Pour cette série «Dance‑Partner. j'ai déjà fait ma première photo/contact avec Daniel Larrieu au centre chorégraphique de Tours

Je suis passé voir Mark Tompkins et je lui ai raconté mon histoire, comme il était en répétition, il m'a proposé de revenir plus tard pour réaliser la photo à Strasbourg.

Je contacte Régine Chopinot, Gallota, Découflé, Duroure etc... pour prévoir les photos suivantes, et j'aurai l'opportunité dans ma région ( Basse Normandie) de profiter du passage de certaines compa­gnies pour organiser une séance photo. Je pense que le plateau du Centre national Karinne Saporta de Caen est particulièrement propice pour certaines photos/ contacts et notamment avec des choré­graphes et danseurs étrangers beaucoup plus difficiles à joindre. En sollicitant des chorégraphes et danseurs célèbres pour qu'ils acceptent de poser avec moi et réaliser une photo/ contact témoignant de la rencontre, la proposition peut étre compromettante et embarrasser certains d'eux mais on peut imaginer le défi avec humour et cela devient une posture insolite et nouvelle à tenter pour éprouver de la distanciation et convoquer un imaginaire non‑formaté aux conventions de nos cases respectives (danse et arts plastiques) et ainsi de par cette relation furtive, expérimenter hors des supports et des outils familiers, d'autres configurations encore plus transversales avec les risques de toutes les com­binatoires les plus troublantes. Evidement, chaque photo/contacts en duo est une forme d'acquies­cement du partenaire qui se porte garant du geste incongru, c'est une complicité accordée au concept du grand écart. Chaque photographie est un segment figurant une partie de la sub‑sculpture. Tous les duos enregistrés mémorisant le «contact» avec une star de la danse sont des cautions qui légitiment le hors piste du “ grand écart” et cela au nez et à la barbe de tous les formalistes et conservateurs de tous poils qui pourraient penser l'entreprise impossible et les chorégraphes trop purs et sectaires pour accepter de jouer et d'être traversés. Au contraire! Je parie pour la disponibilité, la curiosité, la géné­rosité, une attention et une complicité totale avec les stars de la danse contemporaine.

Et bien dansons maintenant ! hiouppie !

Joël Hubaut

Chantier «Degas‑Dance»:

Réaliser une, réplique exacte du corset/ tutu que Degas a joint à sa sculpture en cire réalisant ainsi un geste de mixeur d'une très grande modernité, une combinaison impure et composite assez auda­cieuse et qui a fait évidement scandale. Je veux me déguiser pour ressembler a cette danseuse et prendre les poses exactes des photos publiées. En faisant référence à Degas mais aussi à Gilbert ~ Georges. Je veux me faire photographier exactement dans la même pose et avec un maquillage en faux bronze. Les photos seront tirées en grand format. Ensuite, je demanderai à un artisan‑sculp­teur de faire les copies puis un moule à partir de ces photos pour faire tirer des sculptures en résine (faux bronze). L'exposition comprendra les grands tirages photos, les sculptures sur socles au for­mat des sculptures de Degas et une vidéo où je serai filmé en train de faire de la barre. (Les sculp ‑tures doivent me ressembler évidemment) ( Ce chantier devient un événement avec l'histoire récen­te de la polémique autour du tutu de la petite danseuse de Degas déclenchée par l'historien Richard Kendall, çommissaire de l'exposition « Degas et la petite danseuse» présentée successivement en 1998 au Joslyn Art museum d'Omaha puis à Williamstown dans le Massachusetts. Le tutu de Degas était un jupon de tulle, blanc descendant jusqu'au genou, ou bien ce haillon marron sale déchi­queté par le temps qui est reproduit sans çesse, dans les catalogues. La danseuse originale a été réa­lisée en cire en 1881 avec un jupon ajouté, un justaucorps, des chaussons et des rubans, après plu­sieurs expo, la pièce est restée de nombreuses années dans l'atelier de Degas réputé pour sa pous­sière. Les copies en bronze on été exécutées après la mort de Degas à partir de l'original noirci avec le jupon sale en loque. La sculpture revêtue de son tutu sale a été photographiée en 1918 dans l'ate­lier de Degas, cette image constitue le premier document connu sur l'oeuvre Depuis, chaque mou­lage a été exécuté en copie conforme avec ce modèle sale mais l'original était d'un blanc immacu­lé. Je ferai donc une photographie avec un tutu court et sale et une autre avec un tutu long et propre.

Chantier « Détente et Frottement »:

J'ai réalisé le prototype, d'une estrade circulaire en bois que je présente comme sculpture sur laquel­le on peut danser. Cette piste de danse en parquet ciré dispose d'un capteur musical. La musique d'un slow est diffusée dès que quelqu'un monte sur la piste. J'ai pensé qu'on pourrait essayer de résoudre les conflits en dansant. Je voudrais éditer cette sculpture comme multiple pour proposer un exem­plaire à certains forums politiques, institutions diverses disposant d'une salle de débat comme le Sénat, l'Assemblée nationale ou le Parlement Européen, etc...La sculpture d'ameublement fondue dans le décor général serait comme une sorte de 1% de salon à peine visible, latent ....

Chantier contigu et parallèle:

J'ai l'intention de louer aussi d'autres costumes ( homme ou femme) pour des photos de danse avec un partenaire ou une partenaire du show bizz, de la politique du Sport ou du cinéma etc...photo fla­menco, photo danse africaine, photo french can‑can, photo valse, photo tango, photo rock, twist, bourrée folklorique etc.... en recherchant toujours des cavaliers ou des cavalières célèbres si pos­sible. Je souhaite être introduit dans les différents milieux et présenté à des personnalités diverses pour faciliter cette demande cocasse afin qu'ils acceptent de poser en dansant avec moi pour une photographie ! J'espère pouvoir réaliser une photo en duo/contact/dance avec des célébrités tout azi­mut comme Daniel Cohn‑Bendit, Maïtée, Aimé Jacquet, Nicolas Sarkosy, Annie Cordy, Daniel Buren, Isabelle Autissier, J.L.Godard, Evelyne, Leclerc, Dick Riv,rs, Agnés B, Jacques Lang, Janie Longo, Pierre Restany, Jean Pierre Coffe, Jamel, Thierry Ardisson, etc....

Joël Hubaut Octobre 1997 janvier 1999