L'Amont - Lucas Moreno

 

 

 

 

Il semblerait que nous cherchions l’extériorité. L’extériorité est ce qui est senti en pensant de l’intérieur sans se penser. L’extériorité est le mot-matière qui donne un titre aux textes beaux et esthétiques, elle aspire sous le tapis et fait les carreaux. Mais elle est aussi porteuse d’éclatements, de coups de pied dans l’estomac, de membres déboîtés, tout dépend des gravats que l’on quitte pour aller à l’extérieur. Il y a également la pensée : une certaine forme de pensée, plus caverneuse, plus humide, qui crépite en silence sous la peau extérieure à soi et cambre les reins de l’intérieur avec timidité.


La pensée est ce qui se situe avant, par exemple un grand ours tout en haut d’une colline avant de la dévaler et d’éviscérer celui qui périt dans d’atroces souffrances extérieures à lui. La pensée est aussi un ours dans le sens où on la dresse à pointer du nez sur commande, à passer dans des cerceaux avec de petits chapeaux ridicules. C’est donc un ours, quelque chose de grand et de fort, mais tant que je n’étais pas en bas de la colline, tant que l’ours ne m’avait pas dévoré je ne hurlais pas. Ce n’est qu’au moment de l’acte, ou après, pendant les hurlements, ou pendant la joie effervescente d’une légèreté propre aux choses de l’extériorité, que je comprends enfin ce qu’est la pensée. L’ours prend alors tout son volume et ses dents grincent sur mes os broyés depuis toujours.


Il y a un amont et un aval, les philosophes regardent beaucoup vers le haut, souvent sans lunettes de soleil. Les philosophes ne sont qu’en haut, ils flânent à lustrer l’herbe. L’ébéniste est en bas il fabrique des choses à vendre, mais joliment. Quand ils ont fini, le philosophe dévale la montagne et voilà que l’ouvrier a toujours été lui. La fusion des corps se produit régulièrement. La vache regarde ces merveilles sans fascination. La plupart des mammifères ont le don d’ubiquité : en haut en bas en haut en bas en haut en bas cela ne fait aucune différence. Ils englobent les souffles, l’aval s’emboîte dans la tour d’ivoire en amont.


Un château d’allumettes possède un relief, fonctionne selon un système d’abscisse et d’ordonnée, de spatialité vers le haut, il a une véritable vie globale de dureté matérielle, il ronfle d’existence et avant sa construction il n’existait pas tout en possédant déjà les normes usuelles de sa matérialité unique. Chaque petite brindille coiffée de soufre brûlait de vie, prête pour le spectacle.


La pensée de fête (pensée-aval) ne part jamais d’une pensée, elle est jet à flux est étage spacieux est montagne de boue qui devient pensée une fois les équilibres du haut et du bas clairement restitués. C’est un caramel liquide qui craque au regard en hiver, ne supporte pas les déplacements sur la terrasse. La pensée nous pense et dès que nous la pensons elle craque. On ne part pas d’une pensée on part de l’émotion qui devient pensée avec les kilomètres. La pensée de fête est un routard aux semelles trouées, une réplique de film égale à elle-même sans que rien ne dépasse sur les côtés, une inflammation, pas de parure, le récit progresse dans le coulis des scènes.

 

La pensée l’amont la construction le plan la compréhension la responsabilité les siècles le sens le sens la possibilité d’un sens les petits neurones parfaitement agencés dans un joli petit cerveau la pensée la globalité les résonances la compréhension les mots se côtoient les mots d’écaille les éléments constitutifs d’une belle pensée bien nette dans un village de châteaux de cartes.


La rivière calme a d’abord coulé mais où était-elle. Oui. Il n’y a donc pas d’amont, il n’y a que le halo d’un sapin de montagne sur un ciel ébloui que l’indien distingue entre deux nuages de pipe d’importation au bas du vallon devant sa hutte en toc. Il n’y a que l’indien et la vache et les pareidolies, les échos dans le défilé de nuages-reflets. Il n’y a que le bas l’ici dans la vallée. L’auteur conscient est une truite : les allumettes prennent feu dans ses poches, l’incendie guette la nature qui déteste le vide qui le lui rend bien.


Que dire de l’idée. L’idée est plus juste. L’idée est vraiment un festival de musique traditionnelle. Pensée est un mot vilain rabougri, pansu pesé. Idée a le d de descente, de dérive, de dérangeant, et affiche une courbe élégante dans sa confection graphique pour que les mots amis glissent sur elle. L’idée de l’idée est de ne pas en perdre une miette. Une fois bien cuite ajouter de l’eau froide du robinet et ça dérape, ça folle pensée, ça participe à l’élaboration de ce qui était. C’est la pensée en mouvement. Le printemps qui arrive en diagonale.


Que le propre de la pensée-aval soit sa nature inconsciente est une idée fausse — une mauvaise chute le long du d. La pensée-aval flotte émergée, consciente d’elle-même malgré l’anes-thésie locale : faire du surf entre les ravines ne fait pas de moi une coquille attardée. La réponse est dans la fusion de l’aval et de l’amont avant et pendant la conscience élevée. L’amont qui engendre n’existe qu’en pensée d’enterrement.


La pensée repousse la clarté du ventre. La clarté du ventre est plus ouverte, accepte la pensée avec des gages qui détendent l’atmosphère et l’obligent à se contorsionner entre les mots. On rigole bien. Mais le plus souvent la clarté du ventre porte en elle la clarté de la pensée en forme de dune farcie : chaque grain de sable communique avec les autres en dispersion tandis que l’ensemble navigue lisse au regard filigrane. Pour être clair : la pensée et le ventre s’excluent de la même manière qu’une cavité perçue bille par le jeu des lumières et la fatigue du matin ne pourra plus jamais être perçue cavité car nos crânes font comme ils peuvent. Nos crânes font comme ils peuvent face à Dieu. Dieu est à la fois le père et le fils, il est à la fois la chair et l’esprit, est à la fois lumière et noirceur, et nos shunts d’autoinhibition éclatent chaque jour devant la folie de leur indigestion logique, mais Dieu est Dieu et nos crânes font comme ils peuvent.

 

 

La reconnaissance vocale permet une restitution froide éclatée de la pensée. Corriger cela restituer 5 ok supprimer cela supprimer ce bruit créer un écart tangible accepter la définition aller avant la virgule aller avant le sens aller après le sens aller à la ligne, allez solution 27 corriger cela ok 46 sélectionner le poids de l’unité de sens créer une bulle de repos pour la voix reconnaître la voix reconnaître ma voix reconnaître n’avoir rien supprimé supprimer cela éradiquer le paragraphe de manière durable neutraliser son vieillissement corriger les solutions — restitution de l’enfance, geler les adjectifs.



Il semblerait que

                                   nous

                                                        cherchions l’extériorité.

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